Sorti seulement en 2007, le huitième album studio des BAD BRAINS était en chantier depuis 2004. À l'époque, les Brains n'avaient sorti aucun véritable album studio depuis le très mitigé God Of Love en... 1995. Certes, nous avons eu droit à l'album I & I Survived en 2002, mais il s'agissait d'un opus un peu spécial, consacré en grande majorité au dub et composé en partie des remixes. De plus, H.R. n'y participait pas directement. Il était donc grand temps pour les rastas punks de Washington D.C. de se remettre au travail, et de revenir aux fondamentaux. Qui dit fondamentaux avec les BAD BRAINS veut évidemment dire gros son, rage hardcore et riffs cataclysmiques. Le tout saupoudré d'une bonne dose de marijuana et de son made in Jamaïque...

Adam Yauch, membre des BEASTIE BOYS mais aussi grand fan (et ami) des Brains devant l'Eternel, s'est chargé de la production de l'opus et a mis ses idoles au pied du mur. J'imagine d'ici la scène : " OK alors les gars, fini de rire, assez fait de reggae et de dub sur le précédent album, je vous somme de revenir au punk hardcore crasseux de vos débuts". Tant qu'on n'empêchait pas H.R. de s'adonner à ses pitreries mystiques habituelles et qu'on leur concédait quand même quelques titres reggae, il n'y avait pas de quoi refuser une telle demande.
De fait, Build A Nation est un album qui comblera sans problème le fan de la première période des BRAINS (1977-1982), sans pour autant renier les éléments fusion et groove qui faisaient tout le sel des opus ultérieurs. La chanson d'ouverture, "Give Thanks And Praise" nous présente ainsi un juste équilibre entre l'énergie hardcore/metal des BRAINS et le chant éthéré d'un H.R. plânant plus que jamais au dessus de l'atmosphère. La lourdeur punk hardcore continue de marteler violemment sur "Jah People Make The World Go Around", où l'on jurerait entendre les EXPLOITED des grands jours. Le chant de H.R. demeure cependant toujours aussi étrange, mais ça on va y revenir.
"Pure Love" et ses riffs très lourds rappelleront là encore beaucoup d'agréables souvenirs aux amateurs de hardcore made in 80's... L'énergie hardcore n'en finit plus de se déverser. "Expand Your Soul" et "Let There Be Angels" donnent envie de tabasser son voisin dans un pogo. "In The Beginning" lorgne pour sa part sur les grandes heures de la période I Against I (1986), avec force riffs fusion qui balancent. Pas le temps de se reposer. "Send You No Flowers" enchaîne, fonce dans le tas et détruit tout.

Conséquence du renforcement de la présence du reggae sur God Of Love (1995) puis des expérimentations dub de l'album I & I Survived (2002), Build A Nation nous livre quand même pas moins de 5 titres du genre. "Natty Dreadlocks 'Pon The Mountain Top", sympathique pièce ragga/dub old school, charmera par son groove impertinent. "Jah Love" et "Roll On", sublimes beautés reggae dans la plus pure tradition des grandes œuvres des WAILERS, nous feront plonger sans vergogne dans de profonds abîmes enfumés.
À peine remis de "Roll On", on enchaine avec "Until Kingdom Comes", où d'agréables cuivres veloutés distillent un son roots comme on en a rarement entendu sur un album des BRAINS. C'est un autre morceau reggae, "Peace Be Unto Thee", qui clôt l'album. Avec, cerise sur le pétard, quelques mots en français dans les derniers instants ("Un, deux trois, quatre..."), il n'en fallait pas plus pour nous faire fondre !

Concernant le chant de H.R., eh bien... Ne vous attendez clairement pas à quelque chose de similaire à la grande période des BRAINS. Dr. Know, Darryl Jenifer et Earl Hudson ont beau envoyer la purée sur toutes les pistes les plus agressives de l'opus, quitte même à sonner beaucoup plus bourrin qu'autrefois à de nombreuses reprises, H.R. se contente la plupart du temps de chantonner sagement, ou bien de faire quelques vocalises parfois très maladroites. Comme s'il n'était plus réellement en phase avec le style du groupe.
Certains passages font d'ailleurs presque du mal à entendre : "Universal Peace", malgré un mur de son colossal, est assez laborieuse pour notre pauvre H.R. Et les exemples sur le reste de l'album ne manquent pas.
De fait H.R., de plus en plus imprégné de spiritualité rasta, semble plus que jamais parti sur une autre planète et a visiblement abandonné l'agressivité de sa jeunesse au profit d'un style vocal quasiment mystique, effectivement peu adapté au punk hardcore joué par ses collègues. Cette évolution était d'ailleurs déjà perceptible sur God Of Love en 1995. Inutile de préciser qu'elle continue de diviser les fans du groupe à l'heure où j'écris ces lignes.
Sauf que bizarrement ici, la sauce prends. Est-ce l'effet de la marijuana présente en très forte dose sur cet opus qui agit indirectement sur notre cerveau d'auditeur ? Ou bien n'est-ce pas plutôt ce respect immense que l'on ressent à l'égard de ces 4 légendes du punk hardcore qui, malgré les années et les excès en tous genres, continuent toujours d'enquiller les watts note après note et de nous balancer un groove aussi lourd que les bombardement de Hiroshima et de Nagasaki réunis.

En 2007, les BAD BRAINS sont donc toujours là et n'ont rien perdu de leurs valeurs. Férocité punk et amour infini de Jah, Build A Nation condense tout cela avec brio. Les titres les plus agressifs sont parmi les meilleurs jamais composés par le groupe, et les passages reggae sont réellement très convaincants malgré leur léger surnombre. Si le chant très étrange de H.R. ne tire clairement pas l'album vers le haut, force est d'admettre que cela crée une véritable atmosphère mystique et que cela donne du cachet à l'ensemble.
Arborant fièrement sur la pochette de leur album un Lion de Judas terrassant le sommet de la ziggourat d'une Babylone décadente, les BAD BRAINS peuvent désormais regarder... vers le Futur ?