Trois ans ont passé depuis le (relativement) ambitieux Sex et il semble évident que la tentative de faire un succès commercial au sein du mouvement new wave avec TELEX était maintenant oubliée. Nos trois rigolos belges sont redevenus libres d'être aussi peu sérieux qu'ils le voulaient, ce qui n'est pas forcément un gage de qualité... Leur quatrième album, Wonderful world n'est pas kitsch, non, il est ultrakitsch. Le groupe y cultive un mauvais goût très étudié dans une caricature manifeste du son de l'époque, ces fameuses années 80 synthétiques dont certains se moquent tant.

Comme nous l'avons dit dès le début de cette discographie, TELEX est un groupe parodique et il est vain de vouloir juger leur musique avec précision. L'humour est encore plus subjectif que la musique. On peut très bien trouver un tel disque désopilant ou insupportable... Néanmoins, on peut estimer que ceci n'est pas très réussi. En général, les sonorités ne sont pas très originales, si ce n'est peut-être l'utilisation d'échantillonneurs, mais d'autres comme ART OF NOISE, YELLO ou JARRE ont fait mieux en la matière à la même époque, sans être très sérieux non plus.

Malgré tout le respect que j'ai pour Marc MOULIN, son humour me semble ici un peu gros. Cette fois, c'est lui qui est le compositeur principal et, de son propre aveu amusé, certains passages sont imbuvables. Il a dit avoir honte d'avoir écrit « It could happen to you », digne d'être une vraie chanson de l'Eurovision, et il a volontiers reconnu le kitsch outrancier de la ballade gluante « Tell me it's a dream ». Ceci dit, ces deux-là ne sont pas tellement pires que les autres plages... avec leurs sonorités post-disco en carton, « Second hand » et « Vertigo » seraient ridicules si elles n'étaient pas des farces. Et ne parlons pas de cette version de « L'amour toujours », différente de celle de Birds and bees pour ceux qui ont suivi, plus rythmée et moins romantique, mais paradoxalement plus kitsch et datée. Avec son ambiance kraftwerkienne, « Radio Radio » est par contre plutôt chouette.

Il y a tout de même un morceau qui se détache, « The Voice ». Les sonorités ne sont pas si différentes de celles du reste de l'album, et il a donc également sa part de ridicule, et pourtant, son cas est très intéressant. D'abord, c'est plutôt un instrumental, et les sons sont manifestement utilisés dans le but de créer des ambiances étranges. A l'époque des balbutiements de la musique de danse électronique, c'était déjà original en soi, mais il faut également tenir compte du développement de la scène belge.

Ce n'est pas un fait très connu mais, depuis le milieu des années 80 jusqu'à la fin des années 90, la Belgique a été un des grands centres mondiaux de la musique électronique et des discothèques. Telex est à la racine de notre tradition, suivi par les groupes d'EBM comme FRONT 242 ou A SPLIT SECOND. Ensuite, du côté de 87, notre pays a connu une vraie petite révolution musicale, combinant EBM et acid house, que nous avons appelé la new beat. Difficile de donner des noms, de nombreux DJ anonymes y ont contribué, citons juste le club Boccaccio, près de Gand. Pour être franc, c'était un genre éphémère et assez foireux, basé sur des tempos plus lents que la dance habituelle, mais il a son importance dans l'histoire de la musique électronique, car il se place en amont de styles comme la rave ou la techno hardcore auxquels notre pays a également beaucoup contribué par la suite. Pour en revenir à « The Voice », il se fait que ce morceau de Telex annonce nettement le son new beat et a logiquement été beaucoup utilisé dans nos discothèques à la fin des années 80.

Wonderful World est un exemple-type de l'apport de Telex à la musique : utiliser du grand n'importe quoi pour faire des blagues et tomber par hasard sur quelque chose qui fera son chemin, une démarche amusante mais ingrate, qui n'intéressera certainement pas grand monde. Ensuite, si on a vraiment envie d'entendre un disque le plus kitsch possible pour se marrer un bon coup, ceci est très hautement recommandable.