Il doit exister des thèses sur les liens entre légères infirmités et carrières célèbres. Prenez Joe JACKSON. Sans un sérieux problème d’asthme, il aurait probablement passé son enfance à jouer au foot, comme tous les gamins de la banlieue de Portsmouth. Des soucis respiratoires qui l’ont donc amené à s’intéresser à la musique, et à prendre des cours de hautbois, de violon, de piano (entre autres…) avant de décrocher une bourse pour étudier la composition. Au cours de ses études, il se détournera de la musique classique pour appliquer sa science au rock – voilà une idée qu’elle est bonne.

C’est donc un jeune Britannique très doué qui sort ce Look Sharp! en 1979, un album qui s’inscrit dans l’esprit punk du moment, et qui d’emblée impressionne beaucoup.

L’immense talent de ce multi-instrumentiste, et qui se confirmera tout au long d’une riche carrière, c’est cette science de l’écriture. La composition, ce fameux « songwriting » si difficile à atteindre pour tant d’artistes, et dont ce chanteur va donner une leçon sur ces 11 titres.

Avec une facilité déconcertante, l’Anglais propose des morceaux qui nous racontent une histoire : couplet, puis bridge de transition, et refrain complémentaire (parfois sur un rythme différent du reste) mémorisable et entraînant. Bref, une chanson originale, l’objectif ultime. Ce faisant, l’artiste crée une complicité immédiate avec son auditeur, qui lui est reconnaissant de cette tranche de vie à fredonner, ce morceau d’âme prêt-à-danser.

Ce talent serait presque anecdotique s’il n’était accompagné d’un sens de l’orchestration bien à lui : un esprit rock, punchy, assez minimaliste mais d’une grande élégance, porté par une énergie sèche et l’envie d’y inclure des éléments reggae ou pop, pour un résultat d’une certaine richesse sous des dehors très simples – ce qui le place d’emblée à part dans l’univers punk, comme Elvis Costello à qui on l’a comparé à ses débuts. Vocalement, la patte du chanteur s’exprime par un ton dédaigneux et une diction parfaite, presque maniérée.

La fidélité à des musiciens en béton sera aussi une clé de la réussite de son œuvre et de sa forte identité : le piano de JACKSON sera toujours soutenu dans les premières années par la basse du très musical Graham Maby, la batterie sèche, claire et précise de Dave Houghton et les riffs nerveux de Gary Sanford.

C’est ainsi que Look Sharp! nous met dans la peau de celui qui aperçoit Jenny dans les bras d’un autre et qui se demande « Is She Really Going Out With Him ? », dans un bijou de chanson équilibrée à merveille entre un couplet syncopé par la basse et un refrain à chœurs qui rebascule tout naturellement vers la suite de l’histoire. Ce single fera connaître le dandy dégarni sur les ondes.

Le reggae chaloupé et intelligent de « Sunday Papers » (les riffs de Gary Sanford et la descente de basse ont une dichotomie sympathique) ou celui, plus classique des « Fools in Love » (qui se croient des héros mais qui sont des zéros, encore des paroles à découvrir), sont exemplaires dans leur construction, originaux dans leurs mélodies. Et pour que je dise du bien d’un morceau de reggae, je vous assure qu’il faut qu’il y ait un mec comme l’immense Graham Maby à la basse et une écriture au cordeau.

L’excellent morceau titre est à passer dans les écoles de musique : riff en dialogue avec la basse, bridge hawaiien, et refrain pop, entrecoupé d’un break piano/batterie, le tout enveloppé dans des paroles percutantes. Trois minutes qui s’avalent comme une pâtisserie fine, un peu comme l’est le « One More Time » qui entame l’album.

Peu de jeunes artistes rock on réussi un début aussi impeccable.