Troisième album en l’espace de seulement quatre années. On ne peut vraiment pas dire que l’on chôme chez The Chameleons. Quatre années au cours desquelles, tel l’animal dont ils se sont inspirés pour leur nom, le quartet britannique a fait étalage de toute sa palette de couleurs pour passer d’un post punk mélodique nimbé de coldwave à un rock indépendant à la fois atmosphérique et poignant. Si la sincérité et l’intégrité artistique du groupe sont toujours palpables dans la musique de Mark Burgess et ses comparses, le virage amorcé n’a pas manqué de surprendre et de laisser quelques fans, dont votre serviteur, dans l’expectative et le désappointement.

Le single “Swamp Thing” nous avait pourtant bien mis en garde, mais nous étions toutefois loin d’imaginer que le changement affecterait le nouvel album dans son intégralité. Plus calme, plus posé, voire même paisible semblent avoir été les mots d’ordre durant la période de composition. Si « Mad Jack » et « Time/The End Of Time » entretiennent quelque peu le souvenir du passé du groupe en étant les deux titres au tempo le plus rapide (et encore, on ne frise pas non plus la tachycardie !), l’illustration la plus emblématique de cette évolution stylistique est la chanson « Caution », qui, après la pourtant bonne entrée en matière qu’est « Mad Jack », s’empresse de faire illico retomber le rythme qui, dès lors et pour toute la suite du disque, ne parviendra jamais à s’emballer de nouveau réellement. Dommage d’avoir placé ce genre de titre en début d’album car l’attention de l’auditeur risque alors de retomber d’emblée. Heureusement pour le groupe que ce disque est sorti au milieu des années 80 parce qu’aujourd’hui, avec le changement des habitudes dans la consommation de musique des gens, un titre qui n’accroche pas dès les premières secondes est aussitôt zappé pour laisser la place au suivant, tombant aussitôt dans les oubliettes de notre mémoire. Je préfère à cela la conclusion planante qu’est « I’ll Remember », beaucoup plus judicieuse dans son placement.
Du côté de la production, celle-ci reste dans son ensemble très typée années 80 ; dans le sens où l’écho et la reverb s’entendent à tous les coins de rue. Les musiciens eux font toujours le taf et leur incroyable cohésion se fait bien ressentir. Il faut dire aussi qu’un line-up qui n’est pas bouleversé à chaque nouvel enregistrement constitue un immense atout et fait gagner un temps de travail précieux aux membres. Sur cet opus, le gros bémol vient selon moi (et pour la première fois même) du chanteur, qui abuse de vocalises et d’onomatopées assez inutiles et gonflantes entre les phrases de ses couplets. Je veux bien qu’il vive à fond sa musique mais tout de même, il y a des limites au supportable même dans l’expression d’une catharsis.

Paru il y a tout juste 30 ans, “Strange Times” constitue toujours aujourd’hui le testament discographique de The Chameleons*. Un album encore une fois de qualité. Le plus accessible dans l’œuvre du quatuor de Middleton et qui contient son lot de grands moments mais qui, à mes yeux, ne rivalisera jamais avec la perfection musicale d’un “Script Of The Bridge”. Un album à écouter au moins une fois dans sa vie pour comprendre à quel point le rock peut se montrer romantique et sensible.

P.S. : l’édition limitée de l’album contient 4 titres bonus, dont l’excellente version électrique de « Tears ».

*Le groupe n’a, à l’heure actuelle, jamais annoncé de séparation officielle.