Mais quelle mouche a bien pu piquer les CARS en 1984 pour commettre pareille chose ? Cesser toute collaboration avec Roy Thomas Baker, admettons. Mais pourquoi se jeter dans les griffes de Mutt Lange, le Michael Bay du rock, déjà responsable d'un Pyromania de sinistre mémoire, où tout le potentiel créatif et la niaque d'un DEF LEPPARD encore bien énervé avaient été ensevelis sous quarante tonnes de vernis 80's, notamment à grand renfort de partie de batterie au son immonde digne des plus infâmes boîtes à rythmes ?

Carton commercial n'est en général pas compatible avec rigueur artistique. Du moins, Heartbeat City n'illustre en aucun cas une quelconque correspondance entre les deux principes. Que ce cinquième opus ait catapulté les CARS vers de vertigineux sommets de charts que plus jamais ils n'atteindront est une chose. Mais cette ascension devait-elle passer par un dévoiement créatif et un renoncement musical aussi tragiques ? Car oui, Heartbeat City a tout d'une tragédie. Si la team Ocasek n'a pas réitéré la mésaventure Mutt Lange, ce n'est pas un hasard. Les sessions furent épuisantes, les pistes moult fois capturées et maquillées pour plaire et uniquement pour plaire. Ric et les autres ont perdu le contrôle de leur œuvre. Comment s'en rendre compte ? Juste comparer l'album avec ses quatre prédécesseurs. La prise de conscience est douloureuse. Comment les fans hardcore de l'éponyme de 1978 ont-ils pu vilipender des Panorama voire des Shake It Up et acclamer ce cinquième volet qui ressemble à tout... sauf à du CARS ? Que ce soit "Hello Again", "Magic" (parodie involontaire de hard fm où même le solo d'Elliot est de très loin au-dessous de ses capacités), "Stranger Eyes" ou "I Refuse", c'est la chute. Toujours la chute. Direction les abîmes des 80's où la rigidité cadavérique du ACDC post Bon Scott partouze avec le pire de la new wave (PET SHOP BOYS, ALPHAVILLE). Sinon, quelques embryons de bonnes idées gâchés par cette foutue prod' sous testostérone et artificielle au possible ("You Might Think", "It's Not The Night", "Why Can't I Have You" tout juste sauvé par la voix de Ric). Le bilan est lourd. Et cette situation fut d'autant plus triste que ce cinquième opus marquait la fin de l'âge d'or des CARS. Désormais, comme énoncé plus haut, les Américains ne connaîtront plus aucun succès comparable.

Dans une réalité alternative idéale, les five de Boston auraient publié un E.P quatre titres avec en face A "Heartbeat City" (le morceau titre, effectivement somptueux et poignant, où le rythme d'inspiration motorik s'accorde à merveille avec les claviers atmosphériques urbains et la complainte d'un Mister Ocasek amenant l'émotion à son paroxysme, du très grand CARS) et "Looking For Love" (j'admets avoir un faible pour celui-ci, c'est bien le seul). Enfin, en face B, le génial tube à venir "Tonight She Comes" qui contient tout l'album de 1984 sans les attentats au bon goût perpétré par Mutt Lange (vraie batterie même si un tantinet électronique, vraie basse plus un solo ici jouissif dans la plus pure tradition du quintette) et en guise de conclusion "Drive", la magnifique, devenue la chanson immortelle de Ben et dont toutes les prod' les plus infâmes ne pourraient souiller la beauté (là encore, les mécanos retrouvent provisoirement leurs âmes).

Je déconseille à tout néophytes de débuter l'exploration de l'écurie Ocasek/Orr par Heartbeat City. Je conseille en revanche aux déçus de (re) découvrir les morceaux de ce cru 84 en live, notamment à Houston la même année (le concert filmé est facilement trouvable), tous se voyant dotés d'une fougue organique et d'un feeling rock des plus convaincants, ce dont ils auraient dû être dotés dès l'origine.