Une fois franchie la barrière du XXIème siècle, il y avait de forte chance pour qu'un groupe de la trempe des CARS soit relégué pour l'éternité au rang de formation has been et dépendante d'une époque morte et enterrée. Sans aucun espoir de comeback. En effet, Ric avait été catégorique en 1997 à ce sujet : Les CARS ne se reformeront pas. Vous pouvez compter là-dessus. Lui qui officiait désormais comme producteur dévoué à divers combos allant des BAD BRAINS à WEEZER avait vraisemblablement tiré une croix sur son passé de leader du groupe US le plus sympathique des 80's. Aussi, lorsque ce fumier de crabe décida d'emporter Ben à l'orée des années 2000, pour beaucoup, c'en était fini des CARS. Entre temps, David s'était retiré du rock. Par la suite, Greg avait multiplié les apparitions chez Paul McCartney jusque chez les TURTLES. Elliot avait été impliqué dans la controverse CREEDENCE CLEARWATER REVISITED avant de rejoindre Greg dans l'aventure abracadabrantesque des NEW CARS en 2005. Projet de reprises initié par un Todd Rundgren plus mégalomane que jamais, impliquant également les requins de studios Kasim Sulton et Prairie Prince. Est-ce le relatif succès de ce vrai/faux groupe qui a amené Ric et les autres à repartir sur les routes à bord de leur bolide bostonien ? Toujours est-il qu'en 2010, la nouvelle se répand via les réseaux sociaux. Les CARS reviennent. Désormais flanqués du producteur Jacknife Lee, connu pour son travail en compagnie de U2, REM ou encore les suédois déjantés de THE HIVES.

Move Like This, dont le titre tourne en dérision l'immobilité des membres du groupe en concert, paraît ainsi en 2011. En cette époque post revival, on ne compte plus les reformations de vieilles gloires souhaitant profiter du terreau fertile offert par des nouveaux venus pour lesquelles ils faisaient office de modèles. Certains reviennent avec force et pas mal d'idées accrocheuses à défaut d'être révolutionnaires (PUBLIC IMAGE LIMITED avec This Is PIL, David Bowie avec The Next Day), d'autres échouent dans leur tentative avec des albums soporifiques attestant d'une créativité révolue (MAGAZINE et son No Thyself, BAUHAUS et son Go Away White) ou auto-caricaturaux, au point de porter atteinte au mythe que leurs géniteurs incarnaient naguère (BLACK SABBATH avec l'infâme 13 extrait de la poubelle californienne Def Jam, GANG OF FOUR avec Content).
Pour les CARS, le pari est risqué. David doit réapprendre les fondamentaux de la batterie en quatrième vitesse. Et Ben désormais au Ciel est remplacé par Lee sur une moitié des titres, par une ligne programmée sur l'autre. L'écriture ses répartit équitablement entre la plume de Ric et celle de Lee. La pochette colorée semble annoncer un retour à l'aura pop art décalée des grandes heures. Alors, qu'en est-il de ces dix nouveaux morceaux ?

Aucune volonté d'expérimentation n'est perceptible sur cet opus. Les titres n'excèdent pas les six minutes. L'ensemble est concis, immédiat, taillé pour la bande fm. "Blue Tip", qui ouvre les hostilités, est une power pop carrée à la mécanique efficace. "Too Late" joue la carte de l'émotion avec justesse (Ric est au top) bien épaulée par une ambiance garage conjuguée à des synthés new wave assez froids (vestiges du très post-punk Panorama sans doute). L'énergique "Keep On Knocking" est suivi par la sucrerie "Soon" (chouquette entre "Since You're Gone" et "Wound Up On You"), mignonne mais qui n'atteint pas les sommets émotionnels de ses aînées. Arrive "Sad Song", le second single avec "Blue Tip". Rock n roll fougueux au moral grisâtre où Ric ne déçoit pas. Surgissent "Free" (irrésistible pépite dans la lignée d'un "Don't Cha Stop") et "Drag On Forever". Déterminé, non dénué de fantaisie mais gardant les pieds sur Terre, c'est peut-être le titre sur lequel l'alchimie entre les rescapés de la Team Ocasek est la plus savoureuse. La plus synthétique "Take Another Look", gorgée de nostalgie, aurait pu trouver sa place sur Heartbeat City. Les deux dernières pistes, "It's Only" (pop song pas déplaisante mais peu mémorable) et "Hits Me" (qui semble évadé de Candy O) sont à l'image d'une conclusion malheureusement bien timorée, qui frôle l'anecdote.

En résumé, Move Like This est un bon petit album de pop rock US. Si la patte de Ric (qui n'a rien perdu de son chant aussi addictif que touchant), Elliot (ici plutôt timide en terme de solo), Greg et David est identifiable, il est clair que l'absence de Ben constitue le point négatif du disque. Le vide se fait ressentir dès les premiers instants, Jacknife Lee comme les programmations de Greg n'y peuvent rien. Et ils en ont bien conscience. Car Move Like This transpire la nostalgie. Lorgnant à la fois sur l'efficacité tubesque de l'opus éponyme de 1978, Panorama pour la froideur du son comme l'ambiance générale et Heartbeat City pour l'aspect radiophonique revendiqué, ce dernier album des CARS semble hanté par le fantôme de leur iconique bassiste et chanteur. Sorte de bonbon à l'enrobage rose flashy mais au goût amer et glacé, Move Like This, ni chef-d'oeuvre, ni opus de trop, permet aux Américains de conclure leur carrière sur une note plutôt satisfaisante.

Dans la foulée de ce disque ultime, les CARS entreprennent une tournée au cours de l'année 2011 avant de ranger leurs instruments au placard. Ils ne réapparaissent qu'en 2018 (avec un David à la barbe fournie qui lui ouvrirait les portes d'une autre voiture emblématique : celle des ZZ TOP) à l'occasion de leur intronisation au Rock & Roll Hall Of Fame. Belle revanche de la part d'un groupe incompris voire méprisé par une presse qui s'est échinée à le maintenir dans un registre fm bas de gamme. En septembre 2019, Ric s'en va rejoindre Ben là-haut, refermant ainsi l'aventure des mécanos de Boston, géniaux mélodistes rétros qui, durant une carrière aussi brève que morcelée, ont écrit quelques-unes des plus belles pages du rock américain. Tant qu'il y aura des types tel votre serviteur pour entretenir le good times Ocasekien, il continuera de rouler.