Trois ans. L'écart entre les parutions de deux albums n'a jamais été aussi vaste chez les CARS. Ric, Elliot et Ben se consacrant à leurs projets solo tout en se remettant des éprouvantes sessions londoniennes d'où s'était extrait le (mauvais) blockbuster "𝘏𝘦𝘢𝘳𝘵𝘣𝘦𝘢𝘵 𝘊𝘪𝘵𝘺" et de la tournée monstre qui avait accompagné sa sortie. C'est donc en 1987 que les CARS refont chauffer la mécanique avec pour délicate mission de faire mieux que la dernière fois question oseille à foison.
1987. L'année de tous les dangers. Celle qui a vu MIDNIGHT OIL et U2 se vautrer dans le caniveau de la bande fm pour ne plus jamais en ressortir et le hard rock mourir entre les mains de ces inénarrables pitres de GUNS N ROSES et AEROSMITH sur le retour (d'entre les morts-vivants). Mais aussi celle des agréables surprises injustement occultées, à l'instar du "𝘏𝘢𝘱𝘱𝘺" d'un PUBLIC IMAGE LIMITED flamboyant, du "𝘔𝘶𝘴𝘪𝘤 𝘍𝘰𝘳 𝘛𝘩𝘦 𝘔𝘢𝘴𝘴𝘦𝘴" d'un DEPECHE MODE parti conquérir l'Amérique ou du très personnel et touchant "𝘛𝘶𝘯𝘯𝘦𝘭 𝘖𝘧 𝘓𝘰𝘷𝘦" de Bruce Springsteen (au passage le seul album du Boss que votre serviteur tient en haute estime avec "𝘕𝘦𝘣𝘳𝘢𝘴𝘬𝘢"). Où donc se situent les CARS en cette chaotique fin de décennie 80 ? Réponse : Entre les deux tendances. Et mieux vaut prendre "𝘋𝘰𝘰𝘳 𝘛𝘰 𝘋𝘰𝘰𝘳" comme un miroir tendu à son contexte de conception bordélique tant l'œuvre flirte avec la schizophrénie. Toutefois, le reflet ne révèle rien de bien désastreux. Et le retour d'un son organique et très rock avec David de nouveau derrière ses fûts est plus que bienvenu.

Ça commence pourtant bien mal avec "Leave Or Stay", pop song superficielle parmi tant d'autres, et la purge typiquement 80's qu'est "You Are The Girl". Bien que mieux produite, elle pourrait être une rescapée des sessions de "𝘏𝘦𝘢𝘳𝘵𝘣𝘦𝘢𝘵 𝘊𝘪𝘵𝘺". Médiocre. Et ce n'est pas le clip façon série z Star Trek fauchée, torché par cet apologiste notoire du mauvais goût qu'est John Waters qui va améliorer l'ensemble.
Changement d'ambiance avec l'excellent "Double Trouble", résolument rock, chanté par un Ben Orr impérial et où les Bostoniens font preuve d'une efficacité mélodique imparable (ce pont bien trop court de Greg aux synthés, arg, je l'aurais voulu éternel). Dès lors, la structure générale du disque alterne entre morceaux de qualité et compos anecdotiques. Et les ambiances éthérées mais faussement sereines de l'envoûtant "Fine Line" de précéder un "Everything You Say" peu convaincant dans sa démarche new wake folkisante, la majesté et la puissance hard du poignant "Strap Me In" (LE grand moment de l'album, à n'en point douter) de côtoyer un "Coming Up You" pas désagréable mais qui souffre d'annoncer l'autre grand classique du 33-tours : le superbe et désabusé "Wound Up On You" (la voix de Ric, c'était quelque chose). Au milieu de cette répartition moyen/très bon équilibrée : l'intrus "Ta Ta Wayo Wayo" dont la spontanéité et la légèreté se distinguent radicalement de l'ensemble. Enfin, après un plus dispensable "Go Away", c'est à la très énervée piste éponyme de refermer ce drôle d'album, dont la pochette pop art fantaisiste, pour ne pas dire foutraque : est en totale adéquation avec le contenu hétérogène de ce sixième opus.

Aussi frustrant qu'attachant, "𝘋𝘰𝘰𝘳 𝘛𝘰 𝘋𝘰𝘰𝘳" n'a pas bonne presse au sein de la discographie des CARS. Il n'est pas rare de le voir être pointé du doigt comme le mouton noir de l'œuvre de la Team Ocasek. En dépit de son recours au remplissage, il demeure bien plus plaisant à écouter que son trop formaté quoique plus 'culte' prédécesseur. La question qui se pose d'ailleurs à l'issue de ce cru 1987 est la suivante : "Heartbeat City", via son apologie de la facilité vulgaire, a t'il plongé les CARS dans un gouffre créatif sans remontée envisageable une fois la chute amorcée ? Ou bien la créativité s'est elle répartie jusqu'à sa dernière particule à travers les albums solos de Ric, Ben ou Elliot ? Il est vrai qu'en terme de consistance et de tubes, tous se révèlent supérieurs à "𝘋𝘰𝘰𝘳 𝘛𝘰 𝘋𝘰𝘰𝘳". Mais il se peut que les Bostoniens avaient pour ainsi dire 'tout donné' en 1987 (lorsque l'on sait que "Leave Or Stay" et "Ta Ta Wayo Wayo" sont des démos remontant aux aurores du groupe et qui n'ont quitté leur tiroir que dix ans plus tard.). Et la dissolution du combo une fois la tournée bouclée en décembre 87 semble confirmer cette hypothèse.

L'âge d'or des CARS prenait donc fin, en même temps que celui du rock fm. La venue prochaine de jeunes loups dévoués à la cause alternative sans concession (PIXIES, plus anciennement SONIC YOUTH) allait sonner le glas de tout un pan de la musique grand public. La Team Ocasek regagnait ainsi son écurie sur un sentiment mitigé, entre l'impression de n'avoir pas su conclure son aventure sur une excellente note et à l'inverse celui d'avoir défendu son prestige jusqu'au bout. Mais cette aventure était-elle si conclue pour autant ? Rendez-vous en 2011.