L’électronique pour l’électronique est vaine.
Le cloisonnement entre instruments et ordinateurs n’a pas de sens.
La dichotomie couplet/refrain crée des œillères.
L’émotion naît d’un cheminement, d’une démarche, d’une recherche de vérité, d’aspérités, d’harmonies. D’un long travail. Le talent sans sueur est peu de chose.

Nos expériences musicales, nos enfances baignées de chansons nous font anticiper, inconsciemment, des enchaînements, des structures, l’arrivée d’une batterie ou d’une guitare. Savoir jouer de ces attentes, les surprendre (Arpeggi) ou les satisfaire (All I Need, Reckoner), est un art délicat.

Un riff ne devient mystique que quand d’autres riffs lui répondent, d’autres rythmiques lui font écho, quand des voix le torturent, l’aident à sombrer dans l’excès (Bodysnatchers).

Une beauté complexe et onirique peut naître d’un simple exercice de conservatoire guitare/batterie (Arpeggi).

La voix ne devient magnifique que quand elle a accepté ses défauts, ses excès, et qu’elle assume pleinement ses infinies couleurs, qu’elle décline au gré des besoins du morceau (Nude, Reckoner).

La basse gagne à prendre des libertés, dans les mélodies, les sons ou même les absences, sans perdre le contrôle, sans oublier son rôle de pilier, de fondation (Arpeggi, 15 Step).

La rythmique reste bien trop terrestre si elle se limite à un duel connu d’avance entre temps forts et temps faibles, si elle ne cherche pas à comprendre l’essence de chaque coup (15 Step), et peu importe, encore une fois, que ce coup soit engendré par un processeur ou une cymbale Zildjian, si l’idée est perçue.

La virtuosité ne se mesure pas au nombre de notes par seconde, mais à la capacité à faire un morceau à 5 temps et que cela ne se remarque pas : 15 Step est rock, percutant, binaire, dansant, positif, rageur, accessible, alors que sa structure même est totalement inhabituelle.

Un bel album, souvent, alterne les attaques, les rêveries, les cris, les murmures, les sons. Il ne se perd pas en longueurs nombrilistes, et donne un sens à chaque développement mélodique.

Un chef d’œuvre est l’expression aboutie d’un idéal humain. Fruit d’une grande imagination, il est souvent en résonance avec son époque, la marque d’une inquiétude, d’un espoir, d’un émerveillement ou d’un mal de vivre.

Pour avoir évoqué tout cela sur leur septième album, quinze ans après leurs débuts, et malgré un morceau sans grand intérêt (Faust Arp), [quand on pense que quinze ans après ses débuts Genesis sortait Invisible Touch (affreux), Les Stones sortaient Black and Blue (bof), Pink Floyd commettait The Final Cut (pas nul, mais malgré tout un des pires)],

Pour avoir fait un pied de nez à l’industrie (certes, il y a cette box-set à 60 euros et rien qu’un format mp3 à 160kbps pour les fans fauchés, pas très malin) et créé un précédent mémorable,

Pour avoir montré en quelques pistes magistrales que le rock sait se renouveler quand il cherche, et qu’il oublie les egos,

Pour arriver à traduire cette sensation, « cette peur anonyme qu’on ressent dans un embouteillage, cette conviction qu’on est censé vivre autre chose », message en filigrane depuis OK Computer et Kid A,

Pour cette belle preuve qu’à cinq, In Rainbows, on va beaucoup plus loin, plus haut, plus fort, que tout seul, the Eraser,

Merci Radiohead.