Sa maman lui avait bien dit d’avoir l’air plus souriant sur les photos et de faire de la musique moins antipathique.
Et Genesis P-Orridge, en bon fils soucieux de ne pas froisser celle qui l’a mis au monde, s’est exécuté.
Après tout, pourquoi ne pas soigner les apparences, si cela peut, en bout de chaîne, toucher plus de monde, et donc plus d’individus potentiels.

C’est sur ce disque que les créateurs de la musique industrielle atteignent leur limite, non dans le sordide ou la violence (encore que…), mais plutôt dans le domaine de l’ambiguïté. Clairement, ils deviennent ici un groupe d’indus, c'est-à-dire un collectif ayant pris sa place dans l’histoire du rock. Et que cette place là soit particulière au sein d’une histoire du rock non moins particulière, n’y change rien ; l’objectif principal était non pas seulement de remettre en cause les dogmes de la religion du rock (ce qu’un certain Frank ZAPPA avait remarquablement tenté outre-Atlantique) mais de se faire cordialement et unanimement détester.
Objectivement, ils ont échoué. C’est là tout le joyeux paradoxe (volontaire ?) : Ce 20 Jazz Funk Greats demeure un excellent disque de THROBBING GRISTLE ; pas le plus transcendantal, certes, mais sûrement le plus accessible et recommandable de leur singulière discographie. Donc le plus viral.

Il y a d’ailleurs ici beaucoup de titres accrocheurs ou fascinants, pour peu qu’on soit d’humeur adéquate : « Beachy Head », sorte de dark ambient avant l’heure et qui nous plonge dans une mélancolique grisaille de ville portuaire ; « Convincing People » , comme une danse industrielle hurlée du fond des niches dogons ; le classique « Hot On The Heels Of Love » pur moment de sexe electro avec la sublime Cosey au chant ; le très méchant et mécanique « What A Day », dont on ne compte plus les samples de son admirable et lourde rythmique ; le titre éponyme, enfin, qui ouvre l’album façon disco porno agrémentée d’instruments à vent soufflés des tréfonds.

Et puis il y a les deux versions live du tube officiel de nos quatre anglais préférés, « Discipline », à Berlin et Manchester, c’est à dire le niveau ultime de l’indus offensif : Tréillis militaire, gros beat de facho en montée d’adrénaline, guitares et synthés réglés en mode vrillage du cerveau sous fond de feedback bien dégueulasse. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Une interview de Genesis avec Red Ronnie, en 1979, nous offre un début d’explication : « Discipline, you’ve got to discipline people not to expect anything, specially from you, so you’ve always got to remind them that tey’ve got to make their own decisions and they’ve got to make judgements, and that’s why we do it. To discipline people into thinking that our world is not the only world, but that there are other ones and that they conflict, and they’re somewhere the two maybe, and they’ve got to decide where they are. It’s not meant to be easy for them. »

L’individu est l’ennemi primordial du monstre froid qu’est l’Etat. Voilà ce que les punks ne comprenaient pas à l’époque pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs ; trop préoccupés à se divertir et à choquer le citoyen moyen tout en croyant faire la révolution.
Les membres de THROBBING GRISTLE prêchaient peut être en plein désert – mais non pas en pure perte. En creusant beaucoup et vite, sans réellement se soucier de la qualité de la matière qui était par là mis à jour, ils ont légué aux générations futures un véritable trésor qui, aujourd’hui encore, demeure relativement sous exploité.

Qu’à cela ne tienne, 20 Jazz Funk Greats est un excellent produit made in Industrial Records, à consommer sans modération devant un bon feuilleton bien sentimental, les doigts de pieds en éventail et les mains chargées d’amuse gueule made in Tesco.

Culte et cool.