Quand la mythique Deutsche Grammophon propose à Tori AMOS un projet basé sur des adaptations de morceaux classiques, l’artiste répond un banco aussi risqué qu’audacieux et se lance dans une aventure que beaucoup n’hésiteraient pas à qualifier d’insensée. Voici donc le résultat de ce pari, quatorze morceaux adaptés du répertoire classique. Il y en a pour tous les gouts, de BACH triomphant au méconnu AIKAN, du superbe MENDELSSOHN au romantique CHOPIN. Voyez plutôt, amusez-vous à reconnaître les thèmes abordés à l’aveugle, comme on déguste un bon vin.

Plusieurs 'chansons' voient l’arrivée d’un personnage central de la vie de Tori, sa fille Natascha 'Tash' Hawley que l’on entend en premier lieu sur l’énigmatique "Snowblind", puis sur la jolie "Cactus Practice" à partir d'un thème de Frédéric CHOPIN qui voit les voix féminines de la mère et de la fille se mêler dans une communion ne nécessitant aucune psychanalyse.
Attaquons MENDELSSOHN : le duo de "Job’s Coffin" est d’une beauté hallucinante. On a du mal à croire que la petite Natascha est une préado d’à peine 10 printemps. Assurément, le talent insolent de sa maman n’est pas perdu pour la cause de la féminité. Une voix vibrante, habitée. Déjà ! La complicité entre la mère et la fille n’est pas feinte, le Bosendorfer n’a que rarement retenti de cette manière comme si la génitrice se sublimait en cet instant. Les mots sont superflus, je vous laisse en tête à tête avec cette merveille. Tori est de nouveau parvenue à tirer de ses démons un chef-d’œuvre. Elle qui a si longtemps combattu pour devenir maman, le résultat est à la hauteur de ses espérances. On reste presque sur notre faim pour la suite "Nautical Twillight" qui demeure toutefois excellente. Enfin, la contribution de Natascha se termine avec les arrangements sur les Tableaux d’une exposition de Modest MUSSORGSKY pour "The Chase", très réussie.
L‘introductive "Shattering Sea" propose des arpèges de piano qui créent une ambiance noirâtre très bien enrobée par des cordes agressives et d’une grande complexité.

BACH est à l’honneur sur deux comptines : la charmante "Seven Sisters" met en exergue un hautbois de noble facture et l‘intimiste "Edge of the Moon" ou la sensibilité de Tori s’exprime avec beaucoup d’aisance.
SCHUBERT renaît ensuite par la grâce du violoncelle et du piano de "Star Whisperer", un bel hommage car la voix de la chanteuse américaine ne détruit en rien l’exquise et triste ambiance de la sonate 659 du génial compositeur autrichien. En grand fan de SCHUMAN, je reste sensible à l’adaptation que fait la jolie rouquine sur "Your Ghost", l’orchestration est à la hauteur, un bel hommage.
Enfin l’opus -qui n’a jamais si bien porté son nom- s’achève sur "Carry" ou le Bosendorfer exceptionnel de Tori égrène les notes du grand Claude DEBUSSY. Night of Hunters prend une troublante identité moyenâgeuse sous la plume de la Sudiste, SCARLATTI ne pourra qu’en être honoré.

Que dire en guise de conclusion sur cet exercice de style ? Exquise et voluptueuse, Tori AMOS vient de mettre au monde une œuvre qui pourrait bien être celle dont on se souviendra. Mettons-nous tous debout avec enthousiasme face à l’artiste et son grand piano noir et applaudissons avec ferveur cet ovni qu’est Night of Hunters. BRAVO !