En ce soir du 24 novembre 2023, ils sont 6000 Brestois à se rassembler rive droite, dans l'Arena de la métropole, pour applaudir les enfants du pays. MATMATAH est alors au milieu d'une tournée colossale de 90 dates, étalées sur les années 2023 et 2024. Forcément, celle-ci a une saveur particulière. C'est en effet la première fois que le groupe se produit dans cette grande salle, lui qui, quelques dizaines d'années plus tôt, affûtait ses armes au foyer de l'amicale laïque de Plouzané, à quelques kilomètres de là. Pour la formation qui s'apprête à fêter ses 30 ans d'existence (rendez-vous est pris le 11 octobre 2025 à Accor Arena à Paris, il y a déjà ici un air de célébration. Y'a du Yannick ce soir !, clame avec humour Tristan Nihouarn, avant d'ajouter : Les Ti-zef ils sont là ? Oui, ils sont présents, même si le mixage de ce nouvel album live, sobrement intitulé Brest, ne met pas en avant les clameurs et autres effusions de joie des spectateurs pourtant conquis.

Pour qui a eu l'occasion de voir le groupe sur cette tournée, il ne fait aucun doute que la présence du jeune guitariste Léopold Riou, fiston de Jean-Pierre (leader du groupe RED CARDELL) a apporté une vigueur nouvelle à la formation. Le musicien saute et virevolte, ne faisant que se donner des airs de guitar-hero : il en est un ! Ne donnez pas de briquet à ce mec, il mettrait le feu à sa gratte. Naturellement, la prestation s'en ressent, et c'est au son d'une guitare à la fois épaisse et tranchante que débute le concert au son de "Obscène Anthropocène", titre rock sombre qui règle son compte à l'espèce humaine, au bord de l'effondrement, et offre une suite à "Nous Y Sommes", au thème similaire, interprété avec brio plus tard dans le show.

Brest présente 16 morceaux, la setlist du concert se voit donc amputée de 5 morceaux : "La Cerise", "Marée Haute", "Le Festin de Bianca" (déjà présents sur le précédent live You're Here, Now What ? publié en 2019), mais aussi "SkogW", pourtant réenregistré en 2024 dans une version rock musclée et flamboyante, et surtout "L'Apologie", standard parmi les standards. Le morceau, malgré ses qualités intrinsèques et la douce nostalgie qui l'accompagne, ne nous manque finalement pas tant que cela, d'autant plus que le groupe est loin de renier son passé.

La richesse de MATMATAH, 30 ans après ses débuts, réside en grande partie dans le fait que le groupe est parvenu à incorporer la forte identité celtique de ses débuts à ses penchants plus foncièrement rock et bariolés qui ont rapidement pris le pas sur les sonorités 'juvéniles' du groupe. Ainsi, la formation assume sa celtitude et l'exalte même en convoquant le joueur de bombarde David Pasquet, et Kevin Camus à l'Ulileann Pipe. Ce dernier apporte une forte touche écossaise à "Emma", interprétée sous la forme d'une ballade piano-voix, qui donne une nouvelle jeunesse à ce morceau dont la mélodie est une redécouverte. Il enrichit également "Brest-Même" dont les lignes de guitares renvoient justement aux premières amours du groupe. La bombarde, pour sa part, offre une introduction épique aux éternelles "Demoiselles de Loctudy". N'hésitant pas à chambouler ses classiques, MATMATAH se la joue funk sur "Lambe an Dro" et revient à l'essence-même du kan ha diskan (chanson à répondre) sur "Les Moutons", interprété a capella, à l'exception d'une batterie tribale qui nous embarque.

Le retour de "Sushi Bar", en ouverture des rappels, est une véritable redécouverte. Ce titre punk alambiqué et furieux nous permet de savourer la prestation vocale de Tristan Nihouarn. Si l'on peut parfois reprocher à ce dernier une certaine nonchalance dans l'interprétation, il est ici habité par ce titre rescapé de l'album Rebelote, livrant une prestation vocale surprenante autant que savoureuse, nous rappelant qu'il a du coffre. Les morceaux du dernier album, notamment les rock'n'roll "Le Rhume des Foins" et le léger "Fière Allure", interprété par le bassiste Eric Digaire, s'intègrent formidablement dans la setlist. Il en va de même du long "Hypnagogia", à la fois introspectif et atmosphérique, qui nous offre un nouveau moment de bravoure de la part de Léopold Riou, auteur d'un solo dégageant une émotion profonde. Un moment épique.

Se dégage de ce live une belle complicité avec le public, ainsi qu'un mélange de sérénité espiègle et d'énergie brute. MATMATAH ne fait pas son âge et, sûr de la qualité de ses créations les plus récentes, renvoie l'image d'un groupe soudé dont l'attrait multi générationnel se voit combiné à une authenticité artistique sans compromission. L'ensemble fait du groupe breton un cas à part de la scène rock française qui peut s'enorgueillir d'un tel apport créatif, dont le rendu en concert se fait savoureux. Si l'on aurait aimé que ce concert brestois soit présenté dans son intégralité, ce serait là faire la fine bouche. En 16 titres, MATMATAH nous donne une leçon de rock. Qu'il en soit remercié.