Dans l'actualité quelque peu vide de CAMEL, au bout de dix ans, 2013 est l'année qui permet de faire chauffer un peu dans les chaumières et pour de vrai cette fois. Le groupe n'a plus rien publié depuis 2002 ni tourné depuis 2003, Andy Latimer a eu de graves ennuis de santé durant la période 2007-2008. En 2010, une annonce est faite d'un nouvel album potentiel qui ne verra pas le jour. Nous sommes en 2024 et toujours rien, sinon donc ce 'miraculeux' réenregistrement de The Snow Goose paru pour le quarantième anniversaire du groupe et non celui de l'album lui-même (il aurait fallu attendre deux ans de plus, en 2015). Une tournée accompagne dignement cette sortie tant attendue, et il s'agit du dernier tour de force du claviériste Guy LeBlanc, tombé malade à son tour en 2014 et décédé l'année suivante, remplacé par un autre grand nom ancien de CAMEL, Ton Scherpenzeel. Puis en 2018, de nouveau en décalé de deux ans mais après cette fois, Latimer relance la machine toujours tournée vers le passé avec un hommage live à Moonmadness, second meilleur élément des années 70 pour cette discographie. Latimer qui souhaitait, il y a vingt ans, mettre fin à la vie scénique du groupe, ironie du sort, c'est finalement où il a le mieux réussi à se faire entendre ! Toute la musique créée en studio depuis dort sagement dans des tiroirs et seul demeure le réenregistrement 2013 d'un grand classique, pour faire patienter.

Et se faire patienter. Parfois, de façon inexplicable, on a très envie d'écouter quelque chose, notamment quand il s'agit d'une nouvelle version d'un disque qu'on a fait tourner en boucle. On a envie, mais on hésite cependant, longtemps. The Snow Goose, un peu à part dans le monde rock progressif, même pour CAMEL dans sa première époque du fait de son ambiance instrumentale et orchestrale, réveille toujours rien que par sa pochette, l'originale, un souvenir empreint d'une grande pureté, un bonheur rare et précieux. La nouvelle pochette est plus dans les tons design actuels, l'album 2013 se voyant distribué en simple digipack, mais avec un résultat honnête. Et au moins, débarrassé enfin du 'Music Inspired By...' précédant le titre - pour rappel né du contentieux à l'époque lancé par Paul Gallico, auteur du livre The Snow Goose qui ne voulait point entendre parler d'un groupe au nom rappelant une marque de cigarettes. Notre guitariste-flûtiste leader a donc rappelé ceux qui ont constitué le vrai et bon CAMEL de 2002 et le brillant album A Nod and a Wink, à savoir Colin Bass si fidèle depuis 1979, Denis Clément à la batterie et Guy LeBlanc aux claviers (secondé par Latimer). Pas d'orchestre cette fois-ci, tout ce qui s'en rapproche vient de ce dernier, et Latimer assure avoir voulu coller aussi près que possible à l'album d'origine.

The Snow Goose, c'est la seule fois où un autre animal a pu remplacer le sacro-saint dromadaire. Un album marqué par des mélodies superbes, une atmosphère planante ou alors inquiétante, menaçante, avec quelques décollages vigoureux et des balles superbes, sans paroles donc. Autant dire tout de suite qu'en 2013, l'âge ne dénature en rien le talent des musiciens. Denis Clément sait conjuguer vigueur et finesse à la batterie, Colin Bass est plus affirmé que Doug Ferguson, sa fretless nous offrant quelques grands moments. Quant à Latimer, n'en parlons pas, dès "Rhayader Goes to Town" il prouve son savoir-faire légendaire. C'est ce même morceau d'ailleurs, après un début très fidèle, qui nous fait entrevoir quelques différences. Sur l'intro furieuse, le Mini-Moog de feu Peter Bardens est remplacé haut-la-main par l'orgue Hammond de Guy LeBlanc (il a déjà fait ainsi pour le solo de "Rhayader" juste avant, mais ici c'est plus net encore). Et sur "Sanctuary", son piano Fender Rhdoes prend l'arpège de la guitare acoustique de 1975, sur fond de nappes glaciaires. Un effet blues ressort ensuite sur la fin du morceau, tandis que le doucereux "Fritha" récupère bien l'arpège acoustique.

Et ainsi de suite. On peut sur le coup déplorer ces différences, mais n'oublions pas que c'est aussi l'intérêt d'un enregistrement, que cela n'enlève rien à la version d'origine et en fait, c'est tout à l'honneur de la nouvelle. Beaucoup de ces petites subtilités passent crème, comme la guitare 12 cordes de "The Great Marsh", le ton moins agressif de "Dunkirk" qui gagne en bonne finesse (sans parler du "Preparation" qui le précède), et on valide même le fait de ne plus entendre les seules voix de l'album originel, pour l'envolée jazz-rock de "Migration". À l'inverse, la perte de l'orchestre au profit des synthétiseurs pour tout, se fait ressentir dans le trio basson-hautbois-clarinette de "Friendship" (au moins, la flûte de Latimer est toujours vraie !) comme sur l'intro de "La Princesse Perdue". Et puis comme l'album s'enchaîne, les transitions semblent perdre de leur fluidité entre chaque morceau, un peu plus sèches comme d'ailleurs le son de la batterie sur les premiers morceaux où on l'entend. Compensation certes, ensuite, avec des moments ultérieurs plus réverbérés. En bref, c'est un très beau travail honorant bien l'album original, mais de fait, un peu moins percutant.

Note réelle : 3,5