Dans le monde vaste et souvent obscur de l’indus, Steven Stapleton fait figure de tenancier d’un genre tout à fait particulier de cabinet de curiosités. Des années 70 jusqu’à nos jours, l’homme du projet NURSE WITH WOUND n’a eu de cesse d’écouter, de collecter, d’échantillonner des sons, des bruits issus du quotidien, de sa collection de vinyles, d’instruments de cuisine, de torture ou de musique et de les assembler avec cette science étrange héritée des Futuristes italiens, de Tristan Tzara et de William Burroughs.

Insect And Individual Silenced illustre parfaitement l’état d’esprit cinglant et foisonnant de l’encore jeune Stapleton et, d’une manière plus générale, l’humeur de la scène underground anglaise de ce tout début des années 80 ; les pauvres Londoniens se remettant à peine des assauts de THROBBING GRISTLE pour mieux se reprendre dans la gueule les premiers méfaits de WHITEHOUSE, NON, MAURIZIO BIANCHI, FŒTUS, NURSE WITH WOUND.

La première piste, "Alvin’s Funeral (The Milk Was Delivered In Black Bottles) ", est une chaotique et relativement éreintante succession de collages soutenue, si on peut dire les choses ainsi, par une improbable section rythmique composée de tôles, de castagnettes, de tubes métalliques et autres instruments insolites trouvés dans des dépôts abandonnés. Le tout est étrangement harmonieux.
On enchaîne avec le presque jazzy "Absent Old Queen Underfoot", enregistré en compagnie de l’illustre Jim Thirlwell (FŒTUS) et de Trevor Reidy, où une entêtante batterie a l’air de vouloir faire la course avec une guitare déréglée et un générateur de bruit particulièrement bruyant. Drôle au début mais plutôt irritant sur la longueur, même pour un amateur de rudes sonorités. Tout le monde semble jouer pour soi, en mode autiste complet. Quoi de plus normal quand on apprend par Stapleton lui-même que tout le petit monde ici réuni était complètement défoncé !
La dernière et sûrement meilleure partie du délire, "Mutilés De Guerre", reprend les échantillons de cris et de voix de la première piste pour les assembler en une boucle çà et là émaillée de grincements métalliques qui deviendront proéminents jusqu’à la fin en forme d’hommage déglingué à la plus célèbre des 9ème.

Tout dans ce bouilli d’insectes hystériques suffoque plutôt que respire la frénésie et les débordements créatifs d’un premier jet sans concession. Tellement sans concession que le désormais seul maître à bord décidera de l’effacer de sa mémoire (il en brûlera même les masters) ainsi qu’on se débarrasse d’un souvenir trop gênant, trop encombrant – sauf pour notre mémoire d’insecte.

En fin de compte, on se sent comme honoré d’avoir entre les mains pareil témoignage de folie presque incontrôlée, mais on y revient plus par curiosité que par envie.

- Bébé ?!?
- Ce sera pour la prochaine fois.