On ne peut pas dire que la chanson française soit ma tasse de thé. J'ajouterais même que j'ai tendance à beaucoup cracher dessus, surtout ces derniers temps. Ce qui ne veut pas dire que je suis absolument réfractaire aux morceaux chantés dans notre belle langue. Un petit Gainsbourg par ici, un petit Lavilliers par là ne fait jamais de mal. Mais il y en a un qui pour moi est au-dessus des autres. Phénomène sûrement lié à son style très personnel, son côté atypique dans notre horizon musical parfois bien vide. Eh oui, vous l'aurez compris, j'aime Alain BASHUNG. Pour ceux qui ne connaissent le bonhomme que grâce aux quelques concessions faîtes à la radio, vous êtes loin, très loin de la vérité. On dirait parfois qu'il y a deux BASHUNG : l'un est aussi rockeur que l'autre est poète noir et torturé. Mais, en cette fin des 70's, c'est bien Alain le rockeur que l'on retrouve.

Roulette Russe est déjà son deuxième album (le premier n'a été réédité que très récemment) et le chanteur commence déjà à affirmer son style bien à lui. Son chant à moitié parlé, sombre et nocturne, commence à apparaître. Les paroles, signées Bergman ou Tardieu, font la plupart du temps mouche, accumulent références germaniques bien menées (et titres éloquents) sur "Elsass Blues" et sur "Guru, tu es mon Führer de vivre" aussi bien que sordides histoires de couple ("Je fume pour oublier que tu bois", "Station Service"). Daniel Tardieu signe même un titre terriblement percutant : "Les Petits Enfants", histoire sur les garçons défenestrés.

Si les paroles (et plus encore la façon dont elles sont chantées) constituent le point fort de l'album, la musique apparaît comme très convenue. Un blues-rock banal et discret qui accompagne quand même plutôt bien la voix du chanteur, mais sans sortir de ce cadre très strict. La direction que prendra BASHUNG dans les années suivantes transpire pourtant sur certains titres. L'ambiance insomniaque de "Milliards de Nuits de le Frigo", le teint glauque de "Sur la Ligne Blanche" et l'atmosphère fin de soirée de "Squeeze" annoncent déjà vaguement les divaguations cold wave de Play Blessures. Et puis il y'a encore ce titre, "Les Petits Enfants", qui avec son piano seul apporte une touche d'incongruité à un album dont le plus gros reproche que l'on peut faire est sa stricte banalité en terme de musique.

Le nom de l'album n'a pas été choisi au hasard. Roulette Russe, c'est bien de cela qu'il s'agit. L'auditeur a une chance de tomber sur du bon ("Je fume...", "Station Service", "Guru...", "Elsass Blues"), du moins bon ("Y'a un Yeti", "Pas question que j'perde le feeling"), du précurseur ("Milliards de Nuits...", "Toujours sur la Ligne Blanche"), ou sur la balle fatale ("Les Petits Enfants"). Mais on ne ressent aucune tension à chaque fois que l'on appuie sur la détente. On ne peut pas parler ici de déception ni de franche réussite. Cet album n'a tout simplement rien d'exceptionnel, mais laisse présager le meilleur à venir. Musicalement banal, vocalement intéressant, Roulette Russe est le cas typique de l'album sympa mais sans plus, avec juste assez de réussite pour se démarquer des productions d'époque. En vérité, lorsqu'on compare celui-là avec certains des suivants, on ne peut que féliciter BASHUNG d'avoir opté pour une autre voie, ne revenant que sporadiquement sur un style qu'il maîtrise tout en connaissant bien les limites de celui-ci.