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Frédéric CHOPIN - Mazurkas Vol. 1 (1830)
Par EMMA le 5 Juin 2025          Consultée 413 fois

Cette charmante danse polonaise vient des plaines de Mazovie autour de Varsovie, là où vivaient les Mazurs. Au XIXème siècle, elle gagne les salons européens, un peu rustique, un peu folklorique, riche d’un exotisme dansé. Toutefois, CHOPIN l’élève. Chez lui, la Mazurka n’est pas un divertissement, il ne la fait pas danser, il garde son rythme spécifique mais la transforme et la rêve pour nous faire entrer dans un monde à trois temps, presque intime. Il en écrit près de soixante. Des pièces brèves, certaines à peine plus longues qu’un soupir. Cette chronique s’attarde sur les cinq premiers opus.

Première halte : l’Opus 6, comme la plupart, il se divise en quatre courtes pièces indépendantes. Il est écrit en 1830. Dès que le piano commence à chanter, on reconnait le caractère typique et particulier de la Mazurka : en trois temps, telle une valse, mais une accentuation déplacée sur le deuxième ton. Résultat : elle tangue, elle saute, elle résiste à la régularité. Elle rappelle une danse blessée, fuyante, dont les appuis vacillent. Le thème semble tourner en rond et se heurter à lui-même. La seconde est presque sévère avec ses appoggiatures douloureuses et ses silences tendus. La suivante en Mi Majeur, chante plus librement bien que s’y cache une certaine mélancolie qui naît grâce au déplacement rythmique. La quatrième et dernière de cet opus témoigne de la créativité de CHOPIN. Plus moderne, une structure discontinue, presque un caractère improvisé, avec des modulations abruptes, des suspensions harmoniques qui semblent surprendre le temps lui-même.

L’Opus 7 entre en scène comme un éventail qui se déploie – brillant, libre, insaisissable. Plus séduisant que l’opus précédent, plus affirmé dans son écriture. Cinq courtes pièces, mais autant de visages. À travers elles, CHOPIN joue à déformer la danse. L’on sent l’influence folklorique dans la première Mazurka. En forme de rondo, elle rebondit avec insouciance, comme un pas de côté, un balancement espiègle. Les accords de la main gauche tracent un sol stable mais discret, pendant que la main droite virevolte, ornées de trilles légers, presque moqueurs. L’ensemble tourne en un rond pas clos qui ouvre sur des surprises harmoniques, des zones d’ombre que le sourire n’efface pas. Puis vient le trouble. Une main se tend vers quelque chose qui s’éloigne. La deuxième Mazurka, plus longue, descend dans un climat brumeux. Mineur, bien sûr, mais un Mineur indécis, mouvant, presque sans ancrage. La tonalité paraît incertaine. Elle semble glisser vers le Nocturne, sans y entrer vraiment. Les accords répétés en croches résonnent. Une troisième voix s’élève, un léger rubato, avec la Mazurka suivante. Son écriture est plus dense, presque orchestrale par moment installant une épaisseur sonore. Cette mazurka là ne se livre pas facilement, elle regarde au loin, fière et élégante. Et pourtant, sous cette tenue, perce une tendresse discrète. Le jeu revient lorsque la quatrième Mazurka surgit, vive, nerveuse, scintillante. Elle rebondit, s’interrompt, repart. Elle a une liberté propre à CHOPIN. Enfin, la dernière, est un éclat bref, elle est sèche et sautillante, changeant de dominante.

L’Opus 17 plonge dans cette pénombre familière que CHOPIN explore avec intensité, véritable langage intérieur. La danse, lentement, se fait confidence. La première pièce s’ouvre dans la clarté instable du Si Bémol Majeur. Elle flotte, avance, recule, revient sur elle-même dans une écriture souple, presque improvisée. La main droite glisse avec naturel mais la main gauche déplace sans cesse les repères rythmiques. Presque chuchotée, l’ombre de la deuxième Mazurka tombe, ornée comme un chant ancien : les appoggiatures, les tournures mélodiques en dentelles. L’harmonie se trouble, la ligne se plie. Pour le pianiste, il s’agit de faire vivre les ornements sans les détacher, rendre leur expressivité douloureuse, sans les souligner. Tout doit couler pour cette Mazurka profondément sensible. Puis, la suivante, en La Bémol Majeur, semble danser sans danser, élégante et rêveuse. Elle plane comme si le souvenir d’un bal oublié se rejouait dans l’ombre. Les modulations sont subtiles. C’est une pièce difficile à saisir qui fuit toute tension dramatique autant qu’elle s’en approche. Dans la dernière Mazurka, poétique et mélancolique, CHOPIN touche à une forme d’intensité rare. Peu à peu, s’élève une ferveur polonaise et une ampleur qu’on ne trouve que dans ses œuvres les plus intimes. Les modulations sont riches et profondes, les gammes sont explorées, les changements de tonalité – passage de La Mineur à Fa Mineur – donnent une densité émotionnelle saisissante.

La main gauche avance sobrement, obstinée, en accords répétitifs, dans l’ouverture de l'Opus 24, là où la main gauche semble vouloir s’attarder, comme si elles vivaient des temps parallèles, le cœur même du rubato chopinien. Les deux Mazurkas suivantes se font plus légères, presque moqueuses. La main droite tout en élan donne un caractère dansant. Le phrasé est souple. Dans la dernière pièce de cet opus, le rubato prend une force plus puissante. les ruptures de tempo, les arrêts, les accents brutes, les notes presque frappées, tout ici semble lutter contre l’effondrement. Par moment, le rythme se resserre et la musique donne l’impression de chercher l’air. Une pièce qui témoigne de l’inventivité de CHOPIN.

Enfin, l’Opus 30 s’ouvre en Do Dièse Mineur dans l’une des Mazurkas les plus introspectives. Danse de l’intérieur, elle tourne, s’arrête net. Quelques crescendos retombent dans le grave où s’élève vers des hauteurs égarées. Une puissance sobre, une poésie concentrée. La mélodie, à peine soutenue par les accords brisés de la main gauche, se déroule presque à contretemps. La deuxième Mazurka se joue d’une main ferme qui repose sur le déséquilibre constant entre pulsation rigide et élan capricieux. Les contrastes dynamiques sont clairs. Une pièce qui oscille joyeusement ou nerveusement tendue un peu comme la Mazurka suivante à ceci près qu’elle se révèle plus lyrique. Pianistiquement, elle est un travail d’équilibre entre légèreté du toucher et profondeur harmonique, entre élan rythmique et suspension fluide. La quatrième Mazurka referme le cycle avec intensité que l’on ne soupçonne pas à la première écoute. Profondément polonaise, si elle se pare de murmures elle s’enfonce avec une main gauche qui martèle comme une marche perdue. Sa douleur est contenue, froide et lucide. Si elle parait éclater, elle s’enfonce, chaque ralentissement, chaque accord suspendu est une retenue vers le vide. Un chant brisé qui s’éteint sur une note tenue sans conclure.

S’il y a bien un mot qui me vient à l’écoute des Mazurkas de CHOPIN, malgré le trouble et l’ambiguïté, c’est le charme. D’un premier enracinement rythmique et folklorique, il y a dans cette traversée des cinq premiers opus comme un déploiement progressif. Elles sont métamorphoses permanentes, autant d’états d’âme qu’il en est. Lucides mais rêveuses, entre audace et créativité, tout y est essentiel et leur brièveté n’est qu’apparente. Autant de seuils ouverts sur l’inexprimable.

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