Il y a quelque chose de touchant à voir nos vieilles gloires du hard rock et du heavy metal s'échiner à parcourir les scènes du monde entier, haranguant des foules multigénérationnelles venues, portable brandi devant les yeux, attraper un dernier bout de leur fougueux passé avant que le rideau tombe définitivement. Lorsque certains publient des albums live, ces derniers tentent le plus souvent d'émuler vainement l'urgence d'un âge d'or révolu. Si voir ces groupes en concerts peut, par procuration, donner la sensation de vivre ou revivre cette époque d'insouciance, écouter le résultat des éructations séniles de ces machines hors d'âge sur album procure surtout un sentiment fort de nostalgie. Lorsqu'IRON MAIDEN propose en 2020 son Nights Of The Dead, les fans rient jaune à l'écoute d'une interprétation bancale. Lorsque SCORPIONS balance son Live 2011, les sensations sont bien loin de celles procurées par le World Wide Live. Rares sont ceux qui, sur leurs vieux jours, sont parvenus à proposer des albums live convaincants : AC/DC peut-être, qui s'en sort bien avec son Live at River Plate (2011), tout comme JUDAS PRIEST dont le Battle Cry de 2016 est fort plaisant.

Ne vous méprenez pas, je suis le premier à soutenir ces vieux rockers qui s'accrochent à leur guitare comme un bambin à son hochet, et j'encourage ces albums studios tardifs, souvent intéressants, qui émaillent les années de pré-retraite de ces mastodontes. Mais publier des albums live, en dehors d'un contexte particulier (relecture acoustique ou symphonique, changement radical de setlist) est le plus souvent une entreprise vide de sens.

SAXON fait partie de ces groupes sur lesquels le poids des ans se fait somme toute léger. Biff Byford, du haut de ses 74 ans, possède encore un coffre à faire rougir nombre de chanteurs, et le groupe qui l'entoure, au sein duquel figure depuis quelques temps le taciturne mais éminemment talentueux guitariste Brian Tatler (DIAMOND HEAD), se fait particulièrement performant. Si le groupe, ces dernières années, n'a pas été avare en sorties captées en public (pas moins de six live officiels depuis le début du siècle), il en rajoute une couche en cette année 2025 avec la publication de Eagles Over Hellfest, compte-rendu sonore intégrale de la prestation donnée par les Anglais le 29 juin 2024, dans le cadre de l'incontournable festival des Pays de la Loire. Programmé tardivement, c'est à l'issue du concert de METALLICA que le groupe s'élance dans une prestation de plus d'une heure, porté par une fougue de jeunes premiers.

C'est bien cette énergie qui transparaît en premier lieu à l'écoute de ce live. Introduite par le morceau-titre du dernier album en date de la formation, Hell, Fire and Damnation, la prestation du quintet prend immédiatement l'auditeur à la gorge. Si un autre extrait de ce recommandable album est interprété, "Madame Guillotine", le groupe, sous son aigle de fer, interprète essentiellement de vieux titres de son répertoire, le plus récent étant le formidable "Crusader", millésimé 1984. Une mise au placard de titres pourtant intéressants, qui démontre que SAXON a baissé les armes, sacrifiant la pertinence et la qualité de ses morceaux au profit d'un set old-school mettant en valeur ses cinq albums emblématiques publiés dans la première moitié des années 80, dans une démarche nostalgique qui semble satisfaire les nombreux festivaliers restés pour applaudir le groupe.

Ce live souffre de plusieurs défauts, à commencer par ces irritants fondus entre les morceaux, qui nuisent à la dynamique de l'ensemble. Et puis, il y a parfois quelques petits moments de gêne, et un côté Spinal Tap, lorsque Biff sollicite la participation d'un public que l'on n'entend guère qu'entre les morceaux. Les "sing it" lancés avant le refrain de "Madame Guillotine" tombent ainsi à plat. Pourtant, il y a ici une fougue entraînante, une sympathie naturelle, qui nous procure un plaisir évident à l'écoute de ces énièmes interprétations de "Motorcycle Man", "Denim and Leather" ou "Wheels of Steel", classiques indéboulonnables. Seul le milieu du concert, avec l'enchaînement d'un "Dallas 1PM" un peu fatigué et du lent "The Eagle Has Landed" souffre d'une légère baisse de tension, ce que le groupe ne tarde pas à corriger avec l'exceptionnel "Strong Arm Of The Law".

Si Eagles Over Hellfest séduit grâce à la qualité d'interprétation du groupe, cet énième album live de SAXON est surtout à prendre comme un clin d'œil des Britanniques à leur public français, qui lui a permis d'écrire quelques-unes des plus belles pages de son histoire, parmi lesquelles ces trois concerts successifs au Zénith de Paris en 1984, 1985 et 1986. Ce live solide prolonge le plaisir d'entendre une formation encore très en forme et énergique. Il lui manque néanmoins une setlist plus audacieuse et un meilleur habillage (interdisez les fade-out !) pour s'extirper de la masse des albums en publics publiés ces dernières années par le groupe.