Chuck RAGAN n'a du vieux routard que l'allure. Certainement pas l'âge, ni les cicatrices encore ouvertes de blessures passées. Pourtant, le bonhomme aurait 20 ans de plus dans les pattes que cela ne changerait probablement pas grand chose. Si le corps est encore fringant, l'esprit semble comme sublimé par la richesse des expériences et le poids de la sagesse. Peut-être l'artiste aurait-il pu jouer le rôle du vieux chanteur usé du formidable film Crazy Heart ? Toujours est-il, qu'en proposant d'entrée un « Fixin' to die », blues désabusé popularisé par Bob Dylan, et en indiquant, en guise de première intervention « Nous avons parcouru 6000 kilomètres en dix jours », Chuck RAGAN s'impose en effet comme un routier et un routard de la musique country-folk qu'il remet au goût du jour de fort belle manière depuis de nombreuses années.

Ce Live at Café du Nord, enregistré à San Francisco en août 2010, est à l'image de son auteur : rugueux, approximatif, mais résolument honnête et authentique. Encore plus que sur album, Chuck RAGAN éructe ses paroles tendres ou vindicatives avec une flagrante envie d'en découdre. Soutenu par une contrebasse, un violon, et à l'occasion une guitare électrique, l'artiste passe en revue son répertoire solo, riche de seulement deux albums à l'enregistrement de ce live, et laisse de côté sa discographie avec Hot Water Music, peu dans l'esprit de ce rassemblement à la gloire d'une country-folk organique et à fleur de peau.

Quelques petits regrets néanmoins. La prise de son, anarchique, ne rend que peu hommage au grand talent du bonhomme. Des instruments captés on ne sait comment, une balance inexistante, les conditions d'écoute ne sont décidément pas optimales, et risquent de rebuter les auditeurs qui ne sont pas familiers avec l'univers de l'artiste. Alors que son précédent live, Los Feliz (paru en 2007), se montrait impeccable sur cet aspect, celui-ci fleure un amateurisme décevant. Car comment ressentir la hargne et la rugosité de la musique de Chuck RAGAN si cette dernière n'est pas correctement mise en forme ?

Dommage, car côté setlist, c'est du tout bon. Outre deux inédits, l'enjoué « Open the roads » (chanson écrite dans un tour-bus bloqué par la neige, cela vous surprend ?) et « Wash my feet in the waves », ballade guitare/harmonica dédiée au grand-père du chanteur, le chanteur nous propose le meilleur de ses deux albums studio. Entre titres mordants (« Do you pray », « Don't cry », « Open up and wail ») et morceaux plus tendres ou désabusés, empreints d'une tristesse non feinte (« Symmetry », « It's what you will »), l'artiste ne se ménage pas et met en un clin d'oeil le public dans sa poche. D'une qualité constante au niveau musical, le concert de 15 morceaux s'achève en apothéose sur la doublette « The boat » / « California burritos », sans doute les deux meilleurs titres issus du premier album du bonhomme.

Reste donc le regret que cette captation live ne rende pas justice à la country organique et flamboyante de Chuck RAGAN, souffrant de la comparaison avec les sorties passées, bien plus abouties, de l'artiste. Les amateurs seront pour leur part heureux de pouvoir profiter ici de cette sorte de « bootleg officiel » qui n'entache malgré tout en rien les immenses qualités de l'artiste.