Chuck RAGAN est un artiste dont l'absence, entre chacun de ses albums, se fait cruellement ressentir. Le bonhomme n'est pourtant pas avare en sorties diverses et variées (split, collaborations, live), mais l'amateur de la musique folk rugueuse du leader de Hot Water Music trouve sa principale satisfaction dans la découverte de pièces nouvelles, dans lesquelles l'artiste balance son âme dans son entièreté, sans fard. Une bouleversante avalanche d'émotions.

Pour ce qui est de l'ascenseur émotionnel, Till Midnight ne diffère en rien de ses prédécesseurs. A l'exception d'un son plus riche et touffu (la présence d'un piano, dont les nappes offrent un délectable liant, n'y est pas étrangère), et l'écriture, cette fois moins sociale, plus centrée sur l'expression du sentiment amoureux, ce quatrième album s'inscrit dans la droite lignée de son prédécesseur, l'exceptionnel Covering Ground. Toujours accompagné de ceux qu'il nomme sa "Camaraderie" (le bassiste Joe Ginsberg, le violoniste Jon Gaunt et le guitariste Todd Beene), Chuck a ouvert grand sa porte et collabore cette fois-ci avec d'anciens membres des Social Distorsion (David Hidalgo), des Blind Melon (Christopher Thorn) ou des Foo Fighters (Rami Jaffee), entre autres compétents lurons qui participent à la mise en oeuvre de ce nouvel opus.

Et les titres, mazette ! Désormais finement ciselée, la plume de Chuck donne naissance à de nombreuses pièces à la fois urgentes, exigeantes, mais également dotées de mélodies superbement immédiates qui confèrent à l'album une efficacité renouvelée. Comment ne pas frémir de plaisir, en effet, à l'écoute du titre d'ouverture "Something may catch fire" porté par un violon d'une pureté et d'une beauté redoutables, qui font de ce titre au tempo enivrant une des plus belles réussites de l'album. De même, "Bedroll lullaby", déjà présent sur le live de 2013, voit un harmonica discret servir un titre country-folk roots et plus délicat qu'à l'accoutumé, qui prend des airs de classiques.

Le violon, mêlé aux guitares et la voix inimitable de Chuck, constitue la force d'un album qui, à défaut d'être audacieux ou novateur, se fait authentique et honnête. Le chanteur déballe ses sentiments avec une pudeur naturelle, et se fait inspiré du début à la fin de l'album : "You and I alone", son refrain dantesque, "For all we care", ballade finale dotée d'une montée en intensité qui remue les tripes, sont l'avatar d'un artiste apaisé mais toujours consumé par un feu créatif qui semble bien loin de s'éteindre.

Certains titres, à l'image de l'ampoulé "Wake with you", peuvent paraître un peu moins percutants, et empêchent ainsi à l'album d'atteindre la quasi-perfection de son prédécesseur direct, mais il y a là matière à puiser, à faire son coin et à s'installer confortablement dans un opus dont les très nombreux charmes n'ont de cesse de se révéler au fil des écoutes. Le folk de Chuck RAGAN est moins engagé, moins revendicatif, mais les textes restent profondément ancrés dans le difficile cheminement de l'être humain dans son époque, et portent un album qui, en marge du succès d'un revival folk que l'on tente de nous vendre comme authentique, se fait porteur d'une musique naturellement riche en émotions, et tout simplement belle. Une réussite qui nous fait dire, éternels insatisfaits : vite, la suite des aventures de l'ami Chuck ! A se procurer les yeux fermés.

La vidéo de "Something May Catch Fire" : http://www.youtube.com/watch?v=A2B2TvdW7jk