Je voulais débuter cette chronique en vous racontant l'histoire de Jean Béliveau, ce Québécois parti faire le tour du monde à pied au début des années 2000. Un coup de ras-le-bol, une profonde remise en question, et voici un homme, courageux et désireux de s'ouvrir enfin pleinement au monde et aux autres, embarqué dans un périple qui dura 11 ans au lieu des six années initialement prévues. Je voulais vous dire que l'histoire de Chuck RAGAN partageait de nombreux points communs avec celle de ce Québécois un peu fou, et puis je me suis ravisé. En quoi la virage de carrière de l'artiste Canadien, tout aventureux qu'il fût, peut-il être comparé à l'exploit exceptionnel d'un homme qui a traversé la Cordillère des Andes, le Désert Australiens et l'Afrique du Sud au Nord pour accomplir son rêve ?

Chuck RAGAN est néanmoins un mec qui en a. Le punk-rock alternatif de son groupe punk-rock, Hot Water Music, mis en sommeil pour une durée alors indéterminée, le bonhomme décide de se jeter corps et âme dans un projet folk pour lequel il serait l'âme, l'esprit et le moteur. Feast or Famine, première réalisation de Chuck RAGAN solo, est un album qui transpire et dégouline du besoin de l'artiste de se faire le porte-voix d'un folk rugueux et écorché, un folk qui déboule et débite, et prend l'auditeur à la gorge comme seul une excellente musique sait le faire.

La guitare acoustique prend bien vite des allures de tronçonneuse. Moteur de la musique présentée elle devient, couplée à la voix au papier de verre de l'artiste, le moteur d'un folk qui ne fait pas de quartier. "The Boat", avec sa rythmique enlevée, se voit ainsi doté d'un sentiment d'urgence, comme si Chuck RAGAN parvenait enfin à sortir tout ce qu'il avait sur le cœur. Il en sera ainsi tout au long de Feast or Famine, un album qui ne propose que de rares temporisations, préférant se faire porteur d'une énergie brute de laquelle transparaît, parfois, une délicatesse poétique qui ne fait que renforcer l'impact de l'album. "Geraldine", ballade aux intonations country, "Do you pray", sur laquelle la formule du trio choisi par Chuck RAGAN fait merveille, se voit transcendée par la force cumulée de la voix, de la guitare, du violon et de la contrebasse. Un véritable petit bijou, entraînant et persistant, qui confirment que le bonhomme a bien fait de s'engager dans sa nouvelle voix.

Chuck RAGAN pose des questions, et part en quête de réponses. "Pourquoi baisse-t-on les bras", "Comment ressentir un petit bonheur quotidien", "Que m'apporte la religion", "Et l'amour, c'est palpable", voilà autant de thèmes qui se diffusent, s'éparpillent, tout au long d'un album qui séduit pas sa constance et sa capacité à frapper simultanément juste et fort. L'harmonica de "Heart of Stone", la répétitivité de "Do What you Do", voila autant d'atouts qui posent, d'emblée, Chuck RAGAN comme un compositeur doté d'un très grand talent, dont le sens de la mélodie est tout bonnement bluffant.

Même s'il reste encore une marge de progression, que l'artiste comblera sur ses réalisations futures, Feast or Famine reste un premier album dont les atouts de séduction restent intacts après de nombreuses écoutes. Le genre d'album que l'on peut, pourquoi pas, emporter avec soi pour user ses chaussures...