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- Membre : Miles Davis , Jan Garbarek , Hudson, Jarrett/peacock/dejohnette
 

 Guide Jazz (753)

Keith JARRETT - Sun Bear Concerts (1976)
Par MR. AMEFORGÉE le 18 Août 2012          Consultée 5402 fois

Dans la deuxième partie des années 70, JARRETT connaît une forme d’état de grâce. Prolifique autant qu’inspiré, il multiplie les projets dont nombre constituent des jalons importants de sa plantureuse discographie. Entre autres, The Survivors’ Suite avec son quartet américain, régulièrement acclamé, My Song avec son quartet européen, remède miracle contre l’hypoglycémie, Hymns/Spheres, quoique moins fédérateur, qui explore les ressources de l’orgue d’église et, bien entendu, le Köln Concert qui sonne peut-être le coup d’envoi de cette période faste. Les Sun Bear Concerts, somme conséquente, appartiennent à cette lignée d’œuvres essentielles.

En Novembre 76, notre pianiste s’envole au Japon pour une série de concerts solos : ECM en sélectionne cinq pour établir l’album, regroupés sur dix L.P, désormais édités en un coffret de six CD. Le concert à Cologne, c’est la surface émergée de l’iceberg, voici la surface immergée, trois cent quatre vingt dix huit minutes de piano improvisé, dont certaines figurent parmi les meilleures de son oeuvre. "L’Ours du soleil", c’est-à-dire, en français dans le texte, l’ours malais, censément le plus petit ours d’Asie, se compose rien de moins que de dix parties dépassant chacune la demi-heure et de trois rappels.

Si chaque concert se présente comme un récital autonome, l’ampleur globale ainsi que le bref intervalle de temps (deux semaines) entre les enregistrements permettent de rendre compte à large échelle du processus de la création improvisée. Pas de tricherie possible dans ce laboratoire d’expérimentations : malgré le style reconnaissable de l’artiste, chaque fois est bâti un édifice nouveau, avec de nouvelles architectures, de nouveaux matériaux, une nouvelle alchimie. Ce qui a été exploité dans l’un des concerts ne le sera sciemment pas dans un autre. Témoignage de l’art de l’improvisation à son point culminant.

L’occasion également est donnée de saisir l’influence diffuse que peuvent exercer les villes dans lesquelles ont lieu les représentations. De Kyoto, l’ancienne capitale, saturée d’histoire et de culture, sous la délicate pluie de pétales de cerisiers qui enchante le Chemin de la Philosophie au printemps, à Tokyo l’expansive, labyrinthe urbain de modernité et de traditions, qui ne dort jamais, parfois secouée de soubresauts sismiques, en passant par Nagoya l’opiniâtre, ravagée pendant la guerre, malmenée par un typhon, mais reconstruite chaque fois pour mieux protéger Kusanagi, la réplique de la célèbre épée coupeuse d’herbe. Topographie musicale et onirocritique.

"Think of Your Ears as Eyes", nous invite-t-on dans le livret. Les Sun Bear Concerts apparaissent alors comme une immense fresque aux couleurs et aux textures changeants. Un gigantesque kaléidoscope. Climats introspectifs qui se construisent sur des boucles hypnotiques, paysages égrainés de notes, lentement évolutifs, abstractions qui jonglent avec les contrastes, instants minimalistes et moments exubérants, déclarations frénétiquement virtuoses et dialogues avec le silence, mélodies parfois comme des friandises, souvent comme des fulgurances, brassages ethniques et folkloriques, arabisants, celtiques, asiatiques, américains, miniatures de notes percussives, aiguës, tintinnabulantes, énormes plaqués de notes graves, appesanties, caverneuses, voyage temporel au milieu des canons baroques, des harmonies romantiques, de la souplesse jazz, des rythmes blues, des déconstructions atonales, scènes rêveuses, suspension dramatique et menace tragique, alanguissement nostalgique et coups d’éclats insolents. On est là à gravir une montagne acérée, puis aussitôt à voguer sur un onctueux océan, entre densité et légèreté, humour et gravité, et cela tourbillonne, encore et encore, prisme aux mille couleurs, aux mille nuances, aux mille détails. C’est tout cela, les Sun Bear Concerts, un gigantesque kaléidoscope.

Le rappel de Tokyo est souvent chéri des amateurs de JARRETT et peut-être plus globalement des amateurs de jazz : le morceau, très subtilement, très délicatement, opère une synthèse, une hybridation entre le lyrisme romantique et le lyrisme jazz. Le tempo lent, l’ostinato, tout cela n’est pas sans rappeler le fameux adagio de la Sonate au clair de lune de BEETHOVEN, tandis que la mélodie prend des rondeurs bleutées, un velouté jazz que n’aurait pas reniés Bill EVANS. Si l’on peut ci et là contester la valeur de certains classiques du pianiste (je suis le premier à grimacer en entendant "My Song", commis avec son compère Jan Garbarek), ce morceau s’avère être indubitablement un modèle du genre. Pour autant, ma préférence personnelle va au rappel de Sapporo, une merveille montée sur ressorts, un mécanisme diabolique de rythmes incessants, bondissants, pièce d’horlogerie, d’orfèvrerie articulée, dix minutes de bonheur qui consacrent JARRETT en grand maître de l’ostinato rythmique. Un trésor méconnu, un vrai régal.

Le prix de l’objet ainsi que la quantité à assimiler font des Sun Bear Concerts un album peu accessible. Pour autant, cela reste l’un des joyaux de la discographie de Keith JARRETT. Tous les concerts inclus ne sont peut-être pas de même qualité, on retrouve bien entendu certains passages de tâtonnement et chaque mélomane est libre d’avoir ses préférences, mais une telle qualité concentrée est difficilement niable. Kyoto est peut-être le plus homogène, le plus évocateur, un chef-d’œuvre en soi. Tokyo est le plus expérimental, avec un dernier quart-d’heure terrible. Sapporo fonctionne comme une synthèse, parfaite conclusion, qu’on aborde facilement grâce à une ouverture très mélodique.

JARRETT sortira en 1994 At the Blue Note, un coffret de six CD, en quelque sorte le pendant en trio des Sun Bear Concerts. C’est l’autre 'mammouth' de la discographie. Au niveau du style, les Sun Bear Concerts sont les plus proches du Köln Concert, mais on peut y entendre déjà comme des amorces des styles suivants, là le Paris Concert, là le Vienna Concert, là Radiance même. En somme, une cathédrale musicale où venir se recueillir, rêver, puiser l’énergie qui fait parfois défaut lorsqu’on se heurte au hiératique mur de la réalité.

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- Keith Jarrett (piano)


- kyoto
1. Part I
2. Part Ii

- osaka
1. Part I
2. Part Ii

- nagoya
1. Part I
2. Part Ii

- Tokyo
1. Part I
2. Part Ii

- sapporo
1. Part I
2. Part Ii

- encores
1. Sapporo
2. Tokyo
3. Nagoya



             



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