The Flaming Lips and Heady Fwends regroupe des chansons enregistrées pour partie (quatre au total) en 2011 à l’occasion de différents EP, ainsi qu'en 2012 pour les autres. L'idée est ici que les Lips s'amusent à chanter avec leurs "fwends" (comprendre donc là "friends"). Ainsi, toutes les chansons voient les Lips inviter des guests qui partageront l'interprétation. Qu'on se rassure toutefois, cet album est bien un album des Flaming Lips, en tout cas il sonne pleinement comme tel. On sait donc que les Lips, un groupe américain très influent, malheureusement trop ignoré dans nos contrées européennes, ont un tas d'amis, comme Kesha, Prefuse 73, le crooner gothique Nick Cave, Kevin Parker (Tame Impala), Yoko Ono, la rappeuse Erikah Badu (qui a sorti l'excellent Mama's Gun, en l'an 2000) et qu'on retrouve aussi en 2012 chez Flying Lotus, etc. Initialement cet album est sorti en édition vinyle limitée en avril 2012 et ne paraîtra ensuite sous format CD aux Etats-Unis qu'au mois de juin suivant. A noter quand même, parce que c'est intéressant de le savoir, la plupart des collaborations s'est faite sans rencontrer les "fwends" (pas de présence commune en studio), chacun apportant ses idées et ses enregistrements par échange de fichiers sur Internet.

Si les Lips s'amusent, est-ce également le cas pour nous, auditeurs ? Eh bien oui, ce nouvel album est une vraie réussite. On y retrouve avec bonheur leur univers psychédélique et barré multicolore blindé d'harmonies, d'échos, un véritable univers à part entière dans lequel les sons vintages, bizarroïdes, sont tirés parfois d'instruments improvisés, peu conventionnels, comprendre par là du matériel pour lequel produire des sons ou de la musique n'est pas la destination première. Mais surtout, et c'est le principal, car les Lips sont avant-tout un groupe de pop-rock, les Américains démontrent encore une fois qu'ils restent les maîtres de la scène pop-rock psychédélique actuelle. Treize titres sont ici livrés pour soixante-huit minutes au compteur, et ils sont tous réussis, particulièrement "enjoyable" pourrait-on dire. Les Lips trustent incontestablement le haut du panier en termes de composition et, là où les attend le plus, de mélodies.

Si toutes les collaborations font mouche, certaines sont plus remarquables que d'autres. A l'instar de la longue reprise (dix minutes) de la célèbre chanson "The First Time Ever I Saw Your Face", frôlant les terres shoegaze, où la voix de Erykah Badu boostée aux échos, et assez stone, pervertit délicieusement l'originale. D'ailleurs, le clip leaké mis en ligne présentant la chanteuse noire dans une baignoire, nue, pubis rasé, recouverte tour à tour de paillettes, de faux sang et faux sperme, irritera passablement l'intéressée. Heady Fwends est un album foncièrement rock car oui Heady Fwends est un album qui riffe. Les Lips démontrent une fois de plus qu'ils conduisent toujours sous acide, rien que l'introductif "2012 (You Must Be Upgraded)" est un bel exemple d'entrée en matière avec une Kesha complètement déjantée, qui est d'ailleurs aux USA probablement la chanteuse de pop la plus punk. Et finalement cette collaboration avec les Lips a vraiment du sens. Lorsqu'elle chante "I Want My Ass To Be Jumping" on veut bien la croire... Et que dire de ce "You, Man? Human???" chanté par Nick Cave, où le mot psychédélique prend tout son sens, rappelant parfois le post-punk complètement barge des Virgin Prunes.

A côté de cela, on a une chanson très 70s’ sur le pouvoir de l'amour "Children Of The Moon" chantée par Kevin Parker (Tame Impala) où les harmonies vocales rappellent les ... Bee Gees. Car au fond Wayne Coyne, on le sait tous, est un mec bien, qui aime le genre humain, même s'il en désespère. Quand les Lips nous disent sur "Ashes In The Air", chanté par Bon Iver : "You and me / Have learned that love is true / If you ask me how I know it / I'll never lie to you" là aussi on veut bien les croire. Et c'est surtout dans ces propos qu'ils sont crédibles. Nos gars de l'Oklahoma, s'ils sont restés un peu punk dans l'âme, et un brin provocateurs, sont apaisés et ne nagent plus dans la poudreuse. Le titre "Helping the Retarded to Know God" est d'ailleurs assez parlant, lorsque les Lips chantent "And I stood there with you / Trying not to cry" il y a là une vraie détresse qu'on sait être sincère. Ce qui est notable c'est que cet album évoque souvent les cieux ("I'm Working at NASA on Acid") et qu'il y a vraiment quelque chose de céleste dans cette musique, mais aussi de profondément humain.

Ceux qui aiment les Flaming Lips seront aux anges avec ce Heady Fwends, une vraie parenthèse d'enchantement dans notre monde en proie à la sinistrose. Véritable boîte magique d'où sortent riffs électriques aussi acérés que des scies circulaires, mélodies blindées aux chœurs lumineux et harmonies vocales colorées, paroles qui évoquent tout autant la fin du monde, le désespoir, que l'espérance. Il y a un peu quand même de névrose dans tout ceci, Heady Fwends est un bien un album de notre époque. C'est en tout cas un album sincère et particulièrement réussi.