L'intermède spirituel et gospel, There Will Be A Light, enregistré en compagnie des Blind Boys of Alabama, a donné à Ben HARPER l'envie de se retrouver seul face à sa musique, de délaisser un temps les groupes et les collaborations pour faire face de nouveau au challenge de l'auteur-compositeur en conflit avec sa page blanche. 3 ans après Diamonds on the Inside, qui a transformé l'artiste en star planétaire, débarque ainsi dans les bacs Both Sides of The Gun, dont la pochette illustre cette envie de l'artiste de proposer une œuvre solitaire : seul, les bras croisés, Ben HARPER semble vouloir nous dire « Tenez, voici ce dont je suis capable ».

Malgré une durée somme toute raisonnable (une heure), Both Sides of The Gun est un album double, un choix dicté non pas par des contraintes de place mais par une envie de l'artiste de présenter deux facettes de sa personnalité, et de les scinder. Alors que Ben HARPER se faisait jusqu'ici insaisissable, pratiquant un nombre incalculable de styles différents, allant du rock au reggae, du jazz à la soul, du blues au folk, le voici qui prend le parti de se faire plus homogène, délaissant ainsi la variété musicale de Diamonds on the Inside au profit d'une musique plus carrée, plus structurée, mais aussi plus prévisible.

Ben HARPER reste un grand interprète, bien sûr. Comme jamais depuis le début des années 2000, il tire profit des immenses capacités de sa voix pour se faire rageur ou délicat, n'hésitant pas à crier et user de son organe pour soutenir son propos. La violence vocale n'est pas de mise sur la face A, qui est aussi la plus calme de l'album, sur laquelle l'artiste laisse parler son amour pour un rock-folk tranquille et apaisé. On découvre, à l'écoute de cette face, un nombre satisfaisant de réussites, qui reprennent les choses là ou « She's only happy in the sun », ballade finale de Diamonds on the Inside, les avait laissées. « Morning Yearning », « Waiting for you » et surtout « Happy Everafter in your eyes » sont du Ben HARPER pur jus, et sont à classer parmi les plus belles réussites de sa discographie. Les autres morceaux sont bons, savamment construits et inspirés, mais peinent à séduire autant que les trois titres précités, sans doute parce qu'ils manquent de variété et qu'il est possible de les comparer à ces derniers. En restant dans un domaine folk, faisant peu appel à la distorsion et aux variations de genres, l'artiste formate sa musique et peine à la rendre autant appréciable que par le passé.

La face B aborde pour sa part la facette rock-bluesy de l'artiste. Comme sa sœur folk, celle-ci renferme son lot de bons moments, à commencer par « Engraved invitation », jouissive et débridée, le single « Better Way » et surtout l'énergique « Please don't talk about murder while I'm eating », qui fait un clin d'oeil sympathique à la musique des Rolling Stones. A nouveau, le reste n'est pas forcément mauvais, mais une trop grande homogénéité nuit à l'impact de morceaux somme toute réussis, à l'image du funky « Black rain », du blues « Gather round the stone » ou du complexe « Serve your soul » qui, du haut de ses 8 minutes, achève l'album sur une bonne note.

En mettant ainsi de côté son grain de folie, sa capacité à varier les styles et les influences, Ben HARPER s'ampute d'une partie importante de sa personnalité. Celle-ci reste bien entendu présente sur ce double-album, mais elle se fait moins séduisante que sur les réalisations passées du bonhomme. Une piqûre de rappel pas désagréable mais trop formatée pour séduire sans réserves.