Après être retourné aux sources du blues en 2013 en compagnie de Charlie Musselwhite, Ben HARPER retourne vers d'autres sources, familiales cette fois. Pour la première fois de sa carrière, l'artiste collabore en effet avec celle qui lui a donné la vie, Ellen Harper. Une collaboration longuement souhaitée, qui prend finalement son envol sur ce Childhood Home folk et intimiste. Ellen, elle-même musicienne de son état, reprend le Folk Music Center and Museum, fondé par ses propres parents, dans le courant des années 60. C'est dans cet univers constitué de ukulele, de guitares, de banjos et de pléthore d'instruments que grandit Ben, et que se développe son univers musical, parmi les Ry Cooder et autres Taj Mahal qui, coutumiers du magasin, deviennent rapidement des amis de la famille. Mère célibataire, Ellen parvient à insuffler à son fils ce goût de l'expérimentation et de la transgression des barrières musicales.

La collaboration entre les deux artistes est naturelle, issue de liens du sang qui rendent cette aventure indubitablement authentique. Sur Childhood Home, Ben et Ellen nous livrent un folk acoustique, empreint d'une forte mélancolie, qui voit la discrétion des instruments se poser en contre-pied de la force des émotions déployées. Sur cet album, mère et fils se soutiennent, se mettent mutuellement en valeur, et unissent leur talent sur une dizaine de compositions personnelles (6 signées par Ben, 4 par Ellen) d'une grande beauté. D'une grande tristesse également, comme sur ce "City of Dreams", folk délicat qui voit Ellen faire la liste des choses de la ville de son enfance détruites par une urbanisation rampante et non maîtrisée. Sur "A house is a home", la mélodie guillerette accompagne parfaitement des paroles qui nous évoquent à tous un bout de notre enfance ("Une maison reste un foyer, même lorsque la peinture commence à s'effriter sur les murs..."). Sur ce titre en particulier, l'ensemble des éléments qui constituent l'essence de l'album se voient magnifiés : des paroles touchantes, l'harmonie vocale entre Ben et Ellen, la virtuosité de la guitare. Un travail d'orfèvre. De même, "Memories of Gold", ode aux souvenirs, voit un chant lancinant se faire porteur d'une ambiance chaleureuse. Childhood Home n'est pas le genre d'album que l'on peut écouter tout en faisant autre chose. Il faut, pour l'apprécier, s'imprégner de chaque note, de chaque parole, et laisser son esprit vagabonder vers ses aventures passées et ses rêves inaboutis. Plus encore, l'album rappelle la chance d'avoir un foyer, une famille aimante. Cet album, s'il revêt une facette mélancolique, se fait aussi un fantastique pansement contre les petits tracas du quotidien, qui semblent à son écoute bien futiles.

Si l'on aurait souhaité un ou deux titres plus énergiques, l'exercice acoustique s'y prêtant bien, il faut reconnaître que ce Childhood Home se fait, tant en matière d'écriture que d'interprétation, la formidable expression d'un savoir-faire et d'un talent transmis de mère en fils. Surtout, allez jusqu'au bout, et ne manquez pas la bouleversante "How could we not believe", ultime chapitre d'une aventure familiale qui gagne encore en force lorsque l'on accompagne l'écoute de la lecture du livret, riche en photos d'archive. Une collaboration d'une grande pureté, qui voit Ben et Ellen Harper offrir un album dont la discrétion et l'intimisme et inversement proportionnelle à la force des sentiments déployés. Un travail d'artistes accomplis dont la pudeur et la beauté simple des mélodies fait frissonner de plaisir.