L'art contemporain est quelque chose d'aussi insaisissable que facile à juger. On ne sait pas trop à quoi on a affaire, les intentions sont souvent très confuses, mais au final le résultat ne parle qu'à très peu de monde. Les avis généraux vont de « je comprends rien, c'est nul » à « on a fait mieux en sortant des sentiers battus », et j'en passe et des meilleurs.

L'art contemporain. Voilà sur quoi s'est penché György LIGETI avec son légendaire Poème symphonique. Les amateurs du compositeur hongrois auront vite fait de sortir des adjectifs comme « extravagant », « audacieux » ou encore « provocateur ». Mais de ces trois termes-là, seul le dernier prévaut. Créé en 1962, le Poème symphonique, plus encore que les incursions électroniques de LIGETI, peut être vu comme un acte de provocation dans le monde merveilleux de la musique.

Pour faire simple (mais comment faire autrement à moins de s’appesantir en détails inutiles ?), le Poème symphonique est une pièce jouée par cent métronomes, réglés à des vitesses différentes. Le principe est de lancer successivement et dans un laps de temps très court tous ces métronomes, et d'admirer le résultat jusqu'à ce que le dernier d'entre eux s'arrête. Moui... à ce stade, est-ce encore de la musique ? D'aucuns maniaques de la mélodie disent que non, certainement pas, tandis que d'autres y verront du bruit, et par implication logique de la musique – tout bruit serait musique, donc.

Au-delà de ce qu'est le Poème symphonique, il faut également voir ce qu'il signifie. Contexte : à cette époque, LIGETI fréquente le mouvement Fluxus, spécialisé dans la déconstruction de l'art tel que les canons l'avaient figé, et s'inscrivant dans la droite lignée de références comme Marcel Duchamp ou John Cage (remember 4'33). On trouve dans ce mouvement Yoko Ono ou encore Karlheinz Stockhausen, maitre de l'expérimental de l'époque et père spirituel du krautrock, ce qui pose la chose. LIGETI se plie donc à la volonté de Fluxus, et ce dès le nom de son œuvre : son poème n'a rien à voir avec celui défini un siècle plus tôt, et se complait dans une absurdité totale, en parfaite inadéquation avec ce qui devrait se faire de bon aux yeux de ses contemporains. Provocateur, trompeur, et musicalement vide : il n'est nul doute que le Poème symphonique est une œuvre d'art contemporain totale.

Le dernier élément significatif est bien sûr la réception par le public. Créé en 1963 à Hilversum, le Poème symphonique fut rejeté vivement par un public furieux d'une performance à laquelle il n'était en aucun cas préparé – sauf s'il y avait déjà deux-trois amateurs de musique expérimentale. Voilà donc un gage de « qualité » pour un LIGETI ayant pris des risques ce jour-là.

De nos jours, le Poème symphonique est entré dans la légende, parmi tous ces morceaux à l'intérêt musical nul mais qui ont profondément impacté sur leur époque et au-delà pour certains. Ce n'est pas rien, tout de même, cependant il est difficile d'en évaluer l'impact initial de nos jours, exactement comme lors d'une installation artistique, tant les recherches musicales ont été – dans une certaine mesure – démocratisées et en tout cas diffusées d'une manière autre que « beuh c'est nul ».

À « écouter », et à voir pour la culture : https://www.youtube.com/watch?v=tvYPOGy_8gg

Fiche "Poème symphonique" :
Date de composition : 1962
Date de création : 1963 à Hilversum
Références du disque : György Ligeti - Pierre Charial/Françoise Terrioux/Jürgen Hocker - Mechanical Music, Sony Classical, 1997