Rigena va plus loin que les deux premiers disques de Bernard BENOIT, au niveau de la forme. C'est un hybride, composé pour moitié de morceaux courts, tandis qu'une pièce unique et longue occupe la totalité de la seconde face. Quelques mois plus tard, un certain Mike OLDFIELD délaissera les oeuvres monolithiques de vingt minutes x 2 (ou 4) pour adopter ce type de format et sur une période d'environ dix à quinze ans !

Une nouvelle fois, l'ambiance est axée autour des guitares et dans le style intimiste affirmé dès 1973, au moins pour les morceaux courts. Quelques-uns sont joués avec un seul instrument, à l'image du poignant "Morte-eau" et de ses cascades d'arpèges de guitare nylon, aussi troublés que les vagues et les rochers qui crient détresse en regardant le monstre nommé Amoco Cadiz en train de couler... Les artistes Bretons l'ont tous exprimé de manière différente, Bernard BENOIT se passe de mots...

Plus joyeuses sont les danses irlandaises "Reelodon" et "The Trip to Sligo", dans la même configuration musicale. La seconde est une jig dont le groove comporte quelque chose de blues, avec néanmoins une basse et un bodhran pour soutien rythmique ainsi qu'un tin whistle pour la mélodie.

En bon multi-instrumentiste, Bernard BENOIT réalise lui-même ces arrangements avec réussite, tout comme il maîtrise le trio de guitares placé en début d'album. Chacune de ces compositions est fort intéressante, avec de beaux thèmes, notons encore le kost ar c'hoad (danse du centre Bretagne) pour "Ki-Tan".

Le titre le plus impressionnant est novateur reste "Le Cheval Boiteux", où les instruments à cordes sont renforcés par la présence d'un synthétiseur qui distille des sons imaginaires... On est donc bien dans la lignée d'une musique progressive bretonne dont j'ai déjà eu largement l'occasion de vanter les mérites pour des disques de cette même époque, ceux publiés par Alan STIVELL, Dan AR BRAZ, MYRDHIN et d'autres.

Dans ce vivier créatif, Bernard BENOIT se distingue par sa poésie sans paroles, par des thèmes répétitifs et enivrants, qui peuvent nous amener brusquement d'une rive à l'autre mais toujours avec une certaine fluidité.

Les qualificatifs sont tout trouvés pour la fresque "Rigena", moment-phare de la carrière du monsieur et, encore une fois, au milieu de la scène émergente à l'époque. Vingt-et-une minutes très enrichissantes où Bernard BENOIT raconte à sa manière la légende d'une ville engloutie par les flots, similaire à celle de la mieux connue Ys.

Les sections s'enchaînent au gré de l'inspiration, l'instrumentation évolue en gardant pour base les guitares, le synthétiseur et la voix féérique de Genica Gaël, déjà entendue sur Lutunn Noz trois ans plus tôt.

Bernard BENOIT a apporté un soin particulier à l'élaboration de cette suite musicale, parsemée d'enchantements grâce à des effets aquatiques aux instruments, etc... Les claviers, la guitare-synthétiseur même, tandis que la nylon et la 12 cordes tissent leurs arpèges ; un rêveur romantique ne peut s'y tromper. Avec la voix de la sirène, gentille celle-là, en prime et en vocalises...

Les mélodies sont fortes, surtout à partir du milieu et jusqu'au final en valse glorieuse, digne des meilleurs morceaux de rock progressif, folk ici du coup. Cet album est peu noté sur Progarchives, mais il l'est bien, CQFD. Et le suivant, encore dans un format différent, sera encore meilleur et plus innovant !