C'est donc ça ! La plupart d'entre vous n'avaient jamais été confrontés au viking de la sixième avenue ? Le voilà donc, fringué - c'est le cas de le dire - en viking des pieds à la tête. Louis Hardin fabriquait lui-même ses casques à cornes. Il faut admettre que pour un aveugle, le résultat est carrément à la hauteur. Vous dites ? Les vikings ne portaient pas de casques ? Certes non, mais Astérix nous a trompés là-dessus, et franchement, avant l'avènement d'internet, à part les doctorants en anthropologie scandinave, qui le savait ? Hein petits malins ! Bref, MOONDOG n'en savait rien, et d'ailleurs ce n'est pas lui qui s'est surnommé "Le viking de la 6eme avenue" !

Vous aurez remarqué ma prévenance. Vous aviez besoin d'un peu de temps pour digérer le précédent album, celui du retour et de la consécration. En revanche, vous verrez que pour ce Moondog 2, Notre camarade scandinave du Kansas a choisi de centrer sa démarche sur ses talents de conteur et de chansonnier plus que de symphoniste ou jazzman. Attendez-vous à une avalanche de sons baroques et une atmosphère champêtre qui nous éloignent de la grosse pomme. Il faut dire que c'est l'époque où il s'éloigne du centre urbain qui a fait sa gloire. Avec ses droits d'auteurs - 400 dollars -, il fait l'acquisition d'un lopin de terre "Upstate" comme disent les New-Yorkers, traduisez une retraite à la campagne. Pour s'y rendre, Louis prend le bus et doit ensuite marcher plusieurs kilomètres - souvent dans la neige -, pour atteindre sa terre de Candor. Il y dort dans un trou du sol, puis se construit une étrange baraque de rondins en forme d'araignée. Oui, oui, je rappelle que notre viking est aveugle. Bref, tout ceci est normal.

Il n'y a pas moins de 25 titres sur cet album. Des oeuvres assez courtes pour la plupart. On y retrouve certains des standards de MOONDOG dans une forme déjà bien évoluée. Ainsi "All is loneliness" est à nouveau ici, belle et triste comme les paroles le laissent aisément deviner. Notre artiste des rues aimait stigmatiser sa solitude mais n'en faisait guère de cas au quotidien. Entre les fans, les passants curieux et toutes ces dames qui lui trouvaient "beaucoup de charme", notre trouvère du 20eme siècle était rarement seul. "Why spend the dark night with you" est là aussi, avec sa mélodie somptueuse. On citera encore l'iniatique "Trees against the slies" et la profession de foi "Be a hobo". Le chef-d'œuvre de cette livraison est cependant à mon sens l'épique et pourtant simple "Nero's expedition". On remarque d'ailleurs la constante présence de la douce voix féminine de sa fille June Hardin sur une bonne majorité de titres.

Un bon tiers des compositions sont de nature néo-classiques. Le maître du contrepoint a truffé son sixième opus de canons baroques en tous genres. Certains sont très réussis, je pense à la jolie "Voices of spring", l'originale "Down is up", "Imagine" ou l'étonnante "This student of life". C'est parfois un peu répétitif comme sur "Each today is yesterday tomorrow ", mais la mélodie fruste s'installe dans la tête avec une vraie opiniâtreté. Dans un autre genre, nous avons aussi bon nombre de chansonnettes berceuses. Ainsi l'introductive "Bells are ringing" est d'une vibrante gaieté, comme un chant de Noël. Il y a aussi la trépidante "Maybe" qui nous livre un instantané de la pensée du viking de la sixième avenue, une portion de ses idées. Et puis des odes champêtres, la plus réussie étant la magnifique "What's the most exciting thing" où tout l'optimisme de cet artiste incomparable éclabousse l'esprit de chacun. "Sparrow et "Pastoral" sortent du même tonneau. Enfin, difficile de passer sous silence "I love you" ou "Sadness", empreintes de toute la force des sentiments du grand viking.

On passe du musicien grandiloquent de l'album éponyme de 69 à cet opus beaucoup plus hermétique et discret. Pourtant au final, c'est le même talent et la démarche est totalement complémentaire. Quand votre cœur est entièrement tourné vers l'art et la musique, voilà ce que ça donne : ça déborde, ça foisonne de partout et ça s'insinue dans vos centres du plaisir avec une constante humeur contemplative. Moondog en génie visionnaire du 20eme siècle ? Aucun doute, il suffit de se laisser entraîner car la démarche absolutiste du compositeur ne saurait être remise en question.