DALIDA se fait chanteuse à paroles et signe avec Une Vie son second album chez Sonopresse, un disque profondément intime et habité. Ce sont ces chansons et ces univers singulier qu’elle choisira de porter à la scène de l’Olympia à l’automne de cette année 1971, lors d’une série de concerts de deux semaines. Face au scepticisme de ce style, notamment celui du directeur de l’Olympia, elle prend les choses en main, se donne les moyens de réussir et loue elle-même la salle et s’y présente loin des paillettes, en élégante robe blanche pour offrir un moment intime à l’image de cet album.

"Une Vie" est une ballade aux crescendos subtils, qui s’étirent dans un tempo lent, invitant à l’écoute attentive et à la contemplation. L’atmosphère mélancolique est portée par une orchestration dominée par les cordes, rehaussée par de délicates touches de piano qui apportent une profondeur intimiste. DALIDA s’y révèle profondément habitée, incarnant avec justesse cette mélancolie enveloppante. Ce morceau évoque avec finesse la grande tradition de la chanson française, baignant l’auditeur dans une ambiance où le temps semble suspendu. S’en suit "Chanter Les Voix" qui surprend par sa puissance.

"Non" s’ouvre sur une guitare aux accents folk qui installe une ambiance intimiste. L’entrée des violons apporte une couleur grave et mélancolique, tandis que la voix de Dalida, calme et épurée, mêle douceur et drame avec une grande maîtrise. En contraste, "Toutes Les Femmes Du Monde" s’élève sur un piano ample et chantant, rehaussé par des percussions qui lui confèrent un caractère presque festif. Malgré cette légèreté rythmique, le morceau conserve une dimension lyrique et solennelle, délivrant un message fort et vibrant en hommage à toutes les femmes. Sur des touches plus modernes, "Mamie Blue" déploie des élans pop et soul portés par un piano léger qui danse sur le clavier, accompagné d’un chœur bien présent. DALIDA privilégie une approche tout en intériorité, laissant transparaître une soul profonde et contenue, loin des versions plus explosives déjà connues. Cette interprétation de "Mamie Blue" est subtilement différente et touchante. DALIDA reste dans une parenthèse plus lumineuse avec "Jésus Bambino" qui s’ouvre sur une introduction musicale douce, mêlant violon à la tonalité presque joyeuse et guitare délicate. Ce chant de Noël italien, composé en 1917 par Pietro Yon, trouve chez Dalida une interprétation lyrique et posée. Sans chercher la puissance, elle s’y place avec grâce, portée par un arrangement musical élégant qui souligne la sérénité du morceau.

Puis vient "Avec Le Temps", reprise profondément réussie du célèbre classique de Léo FERRE. Dalida y propose une interprétation à la fois intense et suspendue, où chaque phrase semble peser lourdement sous le poids du temps qui efface tout. Sa voix, chargée d’émotion contenue, donne à la chanson une dimension dramatique et presque funèbre, tout en conservant une beauté poignante et bouleversante. Cette version réussie s’impose comme un moment fort de l’album, où la douleur de la perte et la mélancolie du souvenir se mêlent avec une grande finesse.

L’album glisse ensuite vers un désenchantement palpable avec "Les Choses De L’amour", chanson grave et profondément mélancolique. La guitare sèche y est constante, l’arrangement sobre, laissant toute la place à un épuisement émotionnel exprimé dans une retenue oppressante. Dalida raconte avec une intensité contenue, donnant à ce morceau une dimension presque post-romantique. La fin, pressée et pressante, fait sentir toute la lourdeur du désespoir — à éviter donc si l’on n’est pas d’humeur à affronter la tristesse. En contraste, "Le Fermier" dépeint une scène plus narrative, avec Dalida en conteuse qui nous invite dans un tableau mélancolique, où la simplicité de la vie rurale mêle douceur et nostalgie. "Tout Au Plus" est un morceau profondément textuel où Dalida commence par parler doucement, accompagnée d’un piano discret. Sa voix se pose ensuite, empreinte de lyrisme et d’intimité. L’intensité croît progressivement avec l’ajout subtil des cordes, jusqu’à ce que l’orchestre prenne toute sa forme, propulsant la voix de Dalida dans une explosion émotionnelle. Le temps semble s’étirer dans ce morceau puissant, à la fois triste et mélancolique, qui laisse une empreinte durable.

Avant de refermer le disque, "Monsieur L’amour" chante l’amour avec une légèreté rythmique inattendue. L’orchestre, plus enjoué, emprunte à un univers presque folklorique, apportant une touche de fraîcheur au milieu des teintes sombres de l’album. Enfin, "Comment Faire Pour Oublier" mêle une voix planante à une musique populaire teintée de valse. Le refrain, aux accents presque festifs, surprend par son contraste avec la douleur du texte.

Avec Une Vie, Dalida livre un album à la fois intime et ambitieux, où chaque chanson semble porter un fragment de vérité émotionnelle. Si les textes plongent dans la mélancolie, le désenchantement ou la tendresse, les arrangements, eux, surprennent par leur modernité discrète. Entre cordes élégantes, guitares folk, touches de soul et rythmiques plus populaires, l’album tisse un lien entre tradition et renouveau. DALIDA s’affirme ici en interprète exigeante, loin des standards légers auxquels certains auraient voulu la cantonner, et signe un disque d’une cohérent, à la fois sobre, habité, musical mais profondément triste à écouter qui lui vaut un très joli 3,5.