Enregistré et sorti un an après le phénoménal Crime of the century, Crisis ? What crisis ? est un disque qui souffre un peu de l’ombre géante de son prédécesseur, mais s’avère en tous points excellent.

La pochette et le titre, au délicieux humour british, annoncent la couleur : l’heure est venue à un peu plus de légèreté dans les thèmes abordés et dans les musiques proposées. Exit les considérations philosophico-sociales et le rock progressif cérébral, retour à des titres plus spontanés et rythmés, davantage drivés par la guitare folk de Roger sur laquelle le groupe vient poser ses mélodies magiques.
La différence de style et d’inspiration entre les deux leaders apparaît également plus clairement : à Roger les mélodies pop si enchanteuses et accrocheuses, à Rick les pièces plus Rock, parfois un peu Jazzy, aux structures plus complexes et élaborées. A noter également l’apport admirable des instruments à vent de John Helliwell et des cordes arrangées par Richard Hewson (comme sur "Crime") et la plus-value indéniable du producteur Ken Scott qui veille à la cohérence de l’ensemble. Cette fois encore, l’alchimie fonctionne à merveille. Roger, tout d’abord, compose pour cet album un florilège d’admirables chansons. "Easy Does It" qui ouvre l’album et "Two of Us" qui le referme sont deux superbes ballades, mention spéciale aux bruitages au début du disque avec la mise en abîme de John sifflotant l’air du morceau d’ouverture avant que celui-ci ne commence réellement. Le compositeur Hodgson brille également sur des morceaux plus dynamiques, "Lady", parfait écho au "Dreamer" de l’album précédent, et tout aussi réussi, et "Sister Moonshild", morceau très pêchu porté par une section rythmique au top. Deux chefs-d’œuvre viennent ponctuer cette remarquable contribution : "The Meaning" réussit l’exploit d’être simultanément profond et entraînant, avec un formidable début sur lequel se greffe la voix si expressive de Roger, et un apport remarquable des cuivres de John Helliwell. Vient enfin "A Soapbow Opera", la perfection de bout en bout avec ces voix lointaines relayées par le piano et le formidable chant de Roger qui s’ouvre sur un refrain inoubliable et remarquablement orchestré.
Passons aux chansons de Rick Davies, moins nombreuses mais également remarquables : on passe du très Jazzy "Poor Boy", superbe pièce sur laquelle Rick imite la trompette avec sa voix, à "Ain’t Nobody But Me" nettement plus rock et à la dimension épique parfaitement orchestrée. "Just a Normal Day" est un magnifique titre lent à la dimension dramatique où Rick et Roger alternent les parties vocales.
J’ai gardé le meilleur pour la fin "Another Man’s Woman », pièce la plus progressive du disque, la meilleure selon moi. Le piano de Rick est magique de bout en bout, notamment sur l’incroyable solo du milieu du morceau, avant que le groupe au grand complet ne le rejoigne dans une orgie sonore dont je ne me suis toujours pas remis.

Vous avez compris que SUPERTRAMP a magistralement relevé le défi : offrir un digne successeur à son everest musical. L’inspiration s’était une fois de plus invitée dans le studio, le savoir-faire de l’équipe et la qualité des musiciens ayant fait le reste, pour un résultat qui continue à nous enchanter après tant d’années.