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PIANO CLASSIQUE  |  OEUVRE

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Frédéric CHOPIN - Opus 48 - Nocturnes (rubinstein) (1830)
Par RAMON PEREZ le 14 Octobre 2021          Consultée 1276 fois

Ma chère cousine,

J’ai été bien aise d’apprendre par votre dernière missive que votre fille devenait jour après jour une pianiste des plus accomplies. Vous savez toute mon admiration pour cet instrument et pour les personnes sachant le manier. Aussi, je me permets de vous envoyer, à son attention, ces quelques opus. Ils contiennent ce que je connais de plus beau, les Nocturnes de Frédéric CHOPIN. Elle y trouvera de quoi s’exercer pendant longtemps. Et peut-être pourra-t-elle suivre les pas de mon amie Marie Pleyel, dont le public accourt pour l’entendre jouer dans toutes les capitales. Elle fut l’élève de CHOPIN lui-même, qui lui fit la grâce de lui dédier le premier des opus que je vous transmets. Par sa faveur – je ne la remercierai jamais assez pour cela - j’ai eu l’occasion d’entendre quelques-uns de ces morceaux joués par le créateur en personne. Aucun mot ne pourrait pleinement décrire ces moments.

Pourtant, quel triste sire qu’était CHOPIN ! Toujours malade, toujours acariâtre. Il fallait les voir ensemble avec George Sand ; la nuit au côté du jour. Il n’avait que mots méchants pour parler des autres pianistes. Certes, il aimait beaucoup BACH et MOZART. Mais je ne crois pas l’avoir entendu dire du bien d’un autre. Pauvre LISZT ! Il le vénérait mais ne recevait en retour que froideur sur ses œuvres. Mais peut-être suis-je trop dure envers le Polonais. Il était fort entouré et il se dit qu’on ne comptait plus ses mécènes. Il est vrai que lorsqu’il s’asseyait au piano, ce n’était plus du tout le même homme. Dieu venait parmi nous par son intermédiaire et toute personne qui avait l’honneur de l’écouter mesurait l’importance de chaque seconde passée en sa compagnie.

Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il a composé dans de nombreux genres. Les Nocturnes figurent parmi ses ouvrages les plus notables. Je pense qu’ils seront encore reconnus et fréquemment joués dans les prochains siècles. J’ai longtemps pensé que c’était lui qui avait inventé cette façon de composer. On n’en entendait pas avant lui ; on en produit depuis. Mais Marie Pleyel m’a expliqué qu’il n’en était rien - de toute façon on n’invente plus de nos jours, les formes musicales nous viennent du fond des âges. Elle m’a dit que CHOPIN s’était inspiré de John Field, un pianiste irlandais qui a écrit des nocturnes avant lui. Votre fille verra qu’il s’agit de pièces relativement courtes, dont l’exécution demande environ cinq minutes. La caractéristique la plus importante est pour la main gauche qui suit un schéma très précis et immuable dans la première partie – les nocturnes se déroulant habituellement en trois développements. Des arpèges par vagues, ou un développement d’accords plaqués. Elle pourra s’y exercer dès les deux premiers nocturnes, incontournables par leur pureté.

Pendant que la main gauche suit son cours, la main droite chante. Clairement, avec un lyrisme à vous faire pleurer. Rien de très difficile techniquement parlant. La difficulté n’est pas ici dans la technique mais dans l’interprétation ; cela se joue avec l’esprit. Par contre, le plus souvent, les choses se corsent dans la partie centrale. Vous verrez qu’il y a des morceaux qui contiennent l’orage et la foudre. On m’a dit que CHOPIN gardait en lui de lourds sentiments vis-à-vis de sa patrie d’origine. Une grande révolte eut lieu juste après son départ de Varsovie, la ville combattant l’armée russe dans une guerre effroyable et perdue. Je me dis aujourd’hui que peut-être ces nocturnes contiennent sa tristesse au début des morceaux puis sa colère au milieu, du moins pour certains. Pour finir, la dernière partie est très souvent une variation de la première, avec fréquemment une ou deux mesures virtuoses, ainsi qu’une signature.

Je souhaite à votre fille beaucoup de plaisir à travailler cette œuvre pour que vous ayez, ensuite, le plaisir de l’entendre. Ce que tout le monde devrait pouvoir faire avant de passer. Elle verra que ces morceaux évoluent. Les premiers sont limpides, pleins d’une romantique jeunesse. Les derniers sont d’une autre trempe, plus complexes dans leur discours. Ceci parce qu’il les a composés tout au long de sa vie, du moins de sa vie d’adulte. Les premiers morceaux ont été écrits à partir de 1830, les derniers sont parus en 1846. Il y a huit opus en tout : les initiaux contenant trois morceaux, les suivants seulement deux. On a aussi publié l’an passé un nocturne écrit de sa main et récemment retrouvé, qui aurait été composé avant tous les autres. Marie Pleyel m’a aussi assuré qu’il en avait produits plusieurs autres, probablement perdus à jamais. CHOPIN a en effet demandé à ce que l’on brûle tout ce qu’il n’avait pu achever. Elle m’a dit qu’il y en avait un qui surpassait tous les autres, j’éprouve un insondable regret à l’idée de ne jamais pouvoir l’écouter*.

Je ne veux pas m’attarder ici sur la musique, car il n’y a rien d’autre à vous dire que de pouvoir l’écouter. Vous y entendrez une foule de sentiments profonds, complets. Un portrait intime de l’Homme, dans toute sa complexité. Je vous ai déjà parlé de l’immédiate perfection des deux premiers nocturnes. Je dois aussi vous confesser mon attachement à l’opus 27, ces deux morceaux qui se répondent l’un à l’autre dans la même tonalité (le premier en mineur, fort dramatique, le second en majeur). Il n’est pas toujours évident de déceler le lien entre les morceaux d’un même opus, mais les écouter par paires (ou triples dans le cas des premiers) est la meilleure des expériences pour la compréhension de ces œuvres. Ce qui ne vous empêchera pas d’aimer, évidemment, ces morceaux séparément puisque leur grandeur se suffit à chaque fois. Je me plais à vous imaginer découvrant le quatrième ou le treizième nocturne, ouvrages magnifiques. Et tout autant votre fille que j’espère de tout cœur avoir l’occasion d’écouter lorsque nous pourrons enfin nous rencontrer.
Jusqu’à ce que Dieu le permette, je le prie de vous garder en bonne santé, ainsi que votre famille. Recevez mes meilleures pensées.

Votre très chère et dévouée,
Agnès.


* Nous pouvons déduire de ce passage que cette lettre a été écrite en 1856, le premier Nocturne posthume ayant été publié en 1855. Deux autres Nocturnes furent retrouvés plus tardivement et publiés en 1870, dont le célèbre nocturne en do dièse mineur, qui est peut-être celui dont parlait Mme Pleyel.

Nb : A l’époque de cette missive, évidemment les disques n’existaient pas. Les morceaux de musique étaient publiés régulièrement par des éditeurs sous forme de livret de partitions (les opus). C’est ainsi qu’ils étaient diffusés, par l’entremise de tous les musiciens amateurs de ce temps. Aujourd’hui, les choses sont bien différentes et il se trouve peu de pianistes faisant carrière à ne pas passer par la case de l’enregistrement des Nocturnes. Parmi les innombrables versions, je choisis ici celle d’Artur Rubinstein (1967). L’autre pianiste polonais est une valeur sûre du répertoire chopinien. Au point que son interprétation peut être perçue aujourd’hui comme académique, ce qui n’était pas du tout le cas au début de sa carrière. Il s’agit ici de sa troisième version, deux autres enregistrements ayant été réalisés dans les années 30 puis 50. En puriste, il n’a jamais voulu enregistrer les Nocturnes 20 et 21 (CHOPIN ayant expressément demandé à ce que rien d’inachevé ne soit publié après sa mort). D’autres interprètes valent aussi l’oreille ; on peut même par exemple préférer la grandeur d’un Arrau. De toute façon, le plus important là-dedans n’est pas qui joue, mais ce qui est joué.

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   RAMON PEREZ

 
  N/A



- Artur Rubinstein (piano)


1. Nocturne 1 - Op 9/1 - 1833 ; Sibm
2. Nocturne 2 - Op 9/2 ; Mibm
3. Nocturne 3 - Op 9/3 ; Sim
4. Nocturne 4 - Op 15/1 - 1833 ; Fam
5. Nocturne 5 - Op 15/2 ; Fa#m
6. Nocturne 6 - Op 15/3 ; Solm
7. Nocturne 7 - Op 27/1 - 1837 ; Do#m
8. Nocturne 8 - Op 27/2 ; Rébm
9. Nocturne 9 - Op 32/1 - 1837 ; Sim
10. Nocturne 10 - Op 32/2 ; Labm
11. Nocturne 11 - Op 37/1 - 1840 ; Solm
12. Nocturne 12 - Op 37/2 : Solm
13. Nocturne 13 - Op 48/1 - 1841 ; Dom
14. Nocturne 14 - Op 48/2 ; Fa#m
15. Nocturne 15 - Op 55/1 - 1844 ; Fam
16. Nocturne 16 - Op 55/2 ; Mibm
17. Nocturne 17 - Op 62/1 - 1846 ; Sim
18. Nocturne 18 - Op 62/2 ; Mim
19. Nocturne 19 - Op 72 - 1855 ; Mim



             



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