La théorie des trois façons de répondre à la violence, tu connais ? Pour les explications, prenons l’exemple d’une personne lambda qui vivrait dans une société à la con, où les inégalités se creuseraient de jours en jours, où les libertés s’éteindraient l’une après l’autre à chaque nuit parlementaire, où la violence policière tiendrait lieu de fraternité. Cette théorie dit que la personne dont nous parlons pourrait se soumettre. Se dire que finalement les riches méritent bien leur richesse, que mieux vaut la sécurité que la liberté, que la police n’embête pas ceux qui filent droit. Tu vois le genre. Mais cette personne pourrait aussi chercher la fuite : parlons d’autre chose camarade. Par exemple seulement de musique, les instruments, les notes, la technique ; cache donc cette politique que je ne saurais voir.

La troisième voie est celle de l’agressivité, du combat. Non pas pour gagner, ni pour que les choses changent. Ce n’est pas le but premier, bien que ce puisse être le but ultime. Pour rester actif, vivant, se soulager, se compter, maintenir la flamme. Voilà à quoi sert NO ONE IS INNOCENT et les autres groupes ou artistes de cette clique. Et c’est peu dire qu’Ennemis remplit au mieux son office. Repère ce morceau situé au milieu, "Armistice", cinq pistes avant et cinq après : tout est dans le titre. Une pause acoustique, sombre et pesante malgré tout. Les traits de viole de gambe maintiennent un climat inquiétant, on voit les bombes au loin, mais c’est un répit appréciable.

Car avant ça, mon gars, ça défouraille sec. Un bloc hyper compact, une baston de première. Kemar le dit, ça va mal. Ce n’est plus le temps de se compter par millions, de dire qu’il n’y aura plus jamais de 20%. Voici l’heure de la résistance. A la haine nationale avant toute autre chose. Cette fois nous sommes des centaines de milliers, ce qui est déjà ça. Un coup d’œil aux titres suffit à comprendre : "La caste" aux ordres, "Les forces du désordre" à leur botte, "Humiliation" en conséquence. NO ONE passe l’époque macroniste à la sulfateuse tant cette époque aura été évidente dans sa tentation totalitaire, entre castagnage incessant des oppositions et violences sociales idéologiquement guidées.

Une époque où la classe dominante n’a eu de cesse de désigner les ennemis intérieurs. Les musulmans, les islamo-gauchistes, les non-vaccinés… Comme le relevait Umberto Eco, "Il faut cultiver la haine comme passion civile. L'ennemi est l'ami des peuples. Il faut toujours quelqu'un à haïr pour se sentir justifié dans sa propre misère". NO ONE IS INNOCENT l’a bien compris, d’où le titre de leur disque. Ennemis, soit. Ils en prennent acte. Partant, la cible est nettement identifiée. Leurs disques ont toujours été clairs sur leurs positions, mais celui-ci y va encore davantage. Le groupe n’a peut-être jamais été aussi énervé, prêt à lâcher toutes ses munitions dans la bataille.

Et je peux te dire qu’il est armé. Pour les avoir vus récemment sur scène, ils sont affutés comme jamais. Ce qui est d’ailleurs agréable avec ce disque, c’est justement sa faculté à rendre en studio une énergie proche du live. La réalisation assurée par la même personne qui officiait sur le contestable Drugstore est cette fois hyper massive. Comme à l’époque, on retrouve bien quelques petites touches électro. Mais c’est avant tout une masse de cordes et de percus que l’on entend, dans une tendance métal plus nette que jamais. Le début du disque notamment tire franchement vers l’indus (un peu façon RAMMSTEIN) et tabasse dans les règles. La deuxième partie revient davantage vers la face classique du groupe, façon RATM, avec une tendance plus hardcore.

J’ai lu une phrase de Kemar où il dit que le but de ses camarades est de le faire bouger, que c’est quand il ressent quelque chose que ça commence à être bon. Tramber et son incroyable basse, la doublette Popy/Shanka aux guitares, sans oublier Gaël derrière ses fûts, tous savent à la perfection comment arriver à ce résultat des plus jouissifs et arrosent l’ennemi de toute leur mitraille du début à la fin. La fin, c’est cet hymne : "Aux armes aux décibels", entonné avec le frère d’armes Stéphane de LOUDBLAST. Le morceau qui remet la musique au centre de tout, la fosse comme le lieu de rencontre essentielle de tous ceux pour qui se soumettre ou fuir indéfiniment n’est pas une option. NO ONE t’invite au front : "Lève le poing et montre les crocs !"