Commençons d'office avec le lieu commun habituel : le troisième album est toujours difficile pour les artistes qui doivent soit concrétiser après deux essais réussis, soit corriger le cap après un album réussi et un autre moins, soit trouver enfin leur voix si les deux premiers efforts n'ont pas été concluants.
Sur Matters of the Heart, Tracy CHAPMAN se situe dans le deuxième cas de figure. Elle avait frappé très fort avec son premier album, mais son second avait été moins concluant. Soumise au stress de la célébrité soudaine, elle s'était égarée en essayant de se remettre en question. Heureusement, faisant le bon choix, elle a préféré attendre plus longtemps plutôt que de sortir son troisième album un an après, malgré la pression d'Elektra Records. Mais c'est pour mieux revenir, en tout cas sous un jour plus joyeux, comme le promet la pochette où elle apparaît souriante en gros plan, les yeux refusant toujours de faire face à la caméra.

En effet, Matters of the Heart nous réunit avec une Tracy Chapman plus détendue revenue à ce qui fonctionnait si bien sur son premier disque : une folk aux accents soul et pop qui traîte des problèmes de société et des problèmes de cœur sur fond de mélodies et de refrains accessibles. Comme toujours, les musiciens conviés à l'enregistrement sont nombreux. Son vieil ami Paulinho DA COSTA n'est plus là pour jouer du tambourin et des percussions, mais il a été remplacé par Manu KATCHE, toujours dans les bons coups, mais aussi par Alex AKUNA, Omar HAKIM et d'autres. Le personnel change à chaque morceau, ça a dû être du boulot d'établir qui a fait quoi et où ! Citons juste la présence des guests star : Bobby WOMACK, Vernon REID (de LIVING COLOUR), Tony LEVIN et Mike CAMPBELL (comparse de Tom PETTY au sein des HEARTBREAKERS).
Ce qui ne change pas cependant sont les thèmes abordés dans ses paroles. La violence et le racisme, le sexisme et les problèmes amoureux... Enrobés dans un emballage plus soigné qu'à l'accoutumée. Les morceaux de Matters of the Heart offrent des orchestrations plus recherchées, dissimulant ci-et-là des influences blues, jazz ou world music. Ça ne fonctionne pas toujours : " Dreaming of a World" aurait pu se passer de l'ajout des cloches tandis que les percussions africaines de "Short Supply" n’apportent pas grand-chose à la chanson, mais dans l’ensemble cela permet de donner plus d'ampleur aux morceaux.
L’album s’ouvre sur le premier single "Bang Bang Bang" et enchaîne sur "So", tous deux sympathiques mais sans plus, une sorte de long prélude avant le cœur du disque, le quator "I Used To Be A Sailor", "The Love That You Had", "Woman’s Work" et "If These Are the Things", du très bon Tracy CHAPMAN à base de mélodies entraînantes, de refrains qui restent dans la tête et des textes recherchés. Un nouveau petit creux s’ensuit le temps de "Short Supply" et "Dreaming of a World" qui, comme nous l’avons vu, déçoivent quelque peu. Heureusement, la chanteuse a gardé le clou du spectacle pour la fin : la chanson-titre a de quoi mettre tout le monde d’accord et justifie l’utilisation de plus d’instruments. C’est un petit mille-feuilles, avec une couche de guitare acoustique, le chant, la batterie et en arrière-plan ce synthé obsédant qui emballe joliment le tout. C’est un très bon morceau, et celui de l’album vers lequel je me retrouve à revenir le plus souvent.

Matters of the Heart se révèle suffisamment inspiré pour éviter le naufrage à son auteure. Elle y établit fermement son style, sa 'patte', si l’on veut, et, en dépit de ventes toujours plus faibles, elle peut voguer tranquillement vers l’avenir.