Can't Wait to See the Movie, autrement dit DALTREY millésimé 1987, c'est un album qui tente plus ou moins adroitement de répéter la formule de celui qui l'a précédé, tout en négociant un virage pop plus en accord avec les autres parutions du moment. La parenthèse rock Under a Ragging Moon (1985) plutôt exceptionnelle, y compris pour l'ancien chanteur des WHO dans ses aspirations d'alors, est finie, mais pas complètement.

Alan Shacklock est de nouveau producteur pour une bonne partie, mais se voit supplanté par David FOSTER, le Canadien auteur-compositeur-producteur philanthrope devenu superstar. L'équipe musicale comporte peu de grosses surprises : Nick Glennie-Smith conserve sa place aux claviers, aidé régulièrement par Don Snow (SQUEEZE), au milieu d'une armada d'intervenants dont les guitaristes Clem Clempson (COLOSSEUM, HUMBLE PIE) et Michael Landau, sessionman très réputé.

DALTREY fait de nouveau appel à Russ Ballard et Kit Hain pour lui écrire un couple de chansons, sachant que lui-même fournit le minimum syndical au sein d'un tout hétéroclite question création. Il y a même une reprise d'Axel BAUER (on y reviendra) ! Pour finir, globalement si le son de 1985 était rock, celui de 1987 garde un peu de mordant mais en le détournant de manière plus traditionnellement funk, pop. Moins de guitares, plus de boîtes à rythmes (pour très peu de batterie), de synthés et le retour du saxophone en grande pompe, grâce à Gary Barnacle (Kim WILDE).

Les synthés-cuivres typiques de cette année-là, conjointement à la basse programmée, viennent nous 'agresser' dès les premières notes de "Hearts on Fire", signé Russ Ballard. Et c'est déjà un mauvais point pour ce disque, malgré une bonne mélodie et un Roger DALTREY parfaitement comme il convient, aidé par le sax de Barnacle et des chœurs à la QUEEN du meilleur acabit. Le morceau est le seul à entrer dans le top 100 britannique, chose qu'aurait davantage mérité "The Price of Love". Co-écrite par David FOSTER et l'Américain Jack Blades (RUBICON, SHAW BLADES), cette dernière est le générique du film Le Secret de Mon Succès de Herbert Ross avec Michael J. Fox. Efficace et funk, héroïque, on entend la participation au sax du 'révérend' David Boruff.

Certains éléments se montrent dispensables même si de bonnes idées subsistent, tels l'air et l'ambiance de "Ready for Love" (écrit par Kit Hain), gâchés par des vocaux massifs, DALTREY qui en fait trop pour le coup, et toujours ces synthés-cuivres. Le chanteur domine mieux le jeu sur "Lovers Storm", rock funky de facture moyenne. "The Heart as Its Reasons" est un 'trucker'/blues routier assez basique. La palme revient à "When the Thunder Comes", miné par les échos réverbérés et les sons dérangeants, échappée de guitare en première ligne à ce sujet. Quatre ans plus tôt, YES cartonnait avec son "Owner of a Lonely Heart", déjà très contestable à mon sens (pour de grands succès pop 80's par des dinosaures prog, GENESIS a été largement meilleur) et où Trevor Rabin délivrait l'un des solos de guitare les plus affreux de tous les temps. Là, on est clairement dans le même registre !

"Miracle of Love" est une power-ballade avec chœurs gospel plutôt pas mal dans son genre : une bonne orchestration de claviers scintillants entoure le chant angélique de DALTREY tandis que Barnacle dégaine le sax soprano au timbre plus doux. Meilleure est "Alone in the Night", moment romantique phare de l'album, aubaine pour DALTREY et d'une grande finesse, jusque dans les cuivres-synthés qui pour une fois ne dérangent pas.

Du haut de ses six minutes, "Balance on Wires" possède une ambiance sombre, lourde, intéressante et bien distillée tout du long, avec une rupture inattendue à la guitare, un piano électrique qui plane joliment... Comme David Gilmour aurait fort bien pu chanter le "Price of Love" susmentionné (rappelons d'ailleurs qu'il a collaboré deux-trois ans plus tôt avec Pete Townshend, l'ancien comparse de DALTREY), "Balance on Wires" a beaucoup à voir avec "Yet Another Movie", pièce dense enregistrée par PINK FLOYD sur l'excellent A Momentary Lapse of Reason en cette même année 1987.

Pour nous Français, la curiosité principale reste le dernier titre de l'album : "Take Me Home", reprise aussi habile qu'inespérée, à l'anglaise, du génial "Cargo de Nuit" d'Axel BAUER (1984) qui a si bien marqué son temps. Pour une fois que ce n'est pas du GAINSBOURG, DUTRONC... ! Les grandes heures du Synclavier sont toujours aussi bien alimentées, mais on se laisse surprendre par un arrangement de cuivres swing du plus bel effet, sans compter le long solo de Barnacle à la fin. DALTREY lui-même laisse les chœurs gérer la mélodie tandis que lui se complait dans un registre talk-over, grave et 'rough'/rugueux. C'est certes très connoté, factice dans la production de base, voire kitsch comme certains peuvent dire, mais c'est sacrément bon, original !

Can't Wait to See the Movie s'est fait largement assassiner par la critique, face à un public indifférent. Je l'aime bien cependant, et trouve que pour une bonne moitié, ce n'était pas mérité !