Le dixième album solo de Roger DALTREY est perdu un peu au beau milieu de nulle part. L'ancien chanteur des WHO n'en avait pas publié de nouveau depuis Rocks in the Head en 1992, même s'il s'était acoquiné en 2014 avec Wilko Johnson de DR FEELGOOD pour un résultat assez brillant (à défaut de Brilleaux). Ensuite, il a eu sa méningite, longue rémission etc, chose qui a interrompu le processus de création pour ce disque solo tardif qui a de quoi nous laisser perplexe.

Au moins, à défaut de retrouver le guitariste étrange et sans 'feel good' lui aussi pendant un certain temps (on l'a même vu incarner le bourreau à langue arrachée dans la série TV Game of Thrones !), DALTREY est allé rechercher celui dont il reste plus proche (façon de parler), en tout cas avec qui il a le plus bossé pendant tant d'années : Pete Townshend. As Long as I Heard You, finalement sorti en 2018, est en effet le seul album des WHO (les deux restants en l'occurrence) mais non signé sous ce nom, avec le chanteur et le guitariste réunis sur plusieurs titres, sept sur onze, ce qui n'est déjà pas mal ! On s'amuse de ce qu'ils aient autant attendu pour faire ce que feu John Entwistle et Keith Moon faisaient très bien mutuellement entre 1971 et 1975.

Ce disque qui dure un peu moins d'une quarantaine de minutes surprend à plus d'un titre. Tout comme pour le disque-collaboration avec Wilko Johnson, le producteur est Dave Eringa, plus que régulier auprès des MANIC STREET PREACHERS et qui s'est ponctuellement occupé des oeuvres de Kylie MINOGUE, mais aussi des Français BB BRUNES et CALOGERO. Cette fois, DALTREY mêle deux-trois compositions originales auxquelles il participe - même si l'une d'elles, "Come in Out of the Rain", est un remaniement d'une chanson inédite du groupe funk PARLIAMENT, "Get on Out of the Rain" – à des reprises de chansons qui l'ont influencé depuis le départ. Et cela comprend beaucoup de titres pop et soul US ! Le morceau-titre, "As Long as I Heard You" du chanteur américain Garnet MIMMS, a cela d'importance supplémentaire qu'il est sorti en 1964, l'année où un petit groupe anglais nommé HIGH NUMBERS est devenu The WHO. Il n'est donc pas incongru de le voir placé en tête de l'ensemble, ni d'entendre Townshend y figurer !

Les autres musiciens sont plus ou moins connus, mais il y a quelques noms de marque comme Mick Talbot des STYLE COUNCIL aux claviers sur la plupart des titres également, ainsi que Liam Genockey, batteur de STEELEYE SPAN qui lui officie en vrai guest à deux reprises (en lieu et place du fameux Jeremy Stacey) tandis que son fils Sean est l'autre guitariste mis en avant ici avec Townshend. Même si ce dernier s'illustre bien peu à sa manière habituelle, autant dire que niveau rythmique, tout est bien soigné. Les albums de Roger DALTREY contiennent toujours plein de choeurs mais ici, chose notable, ils sont tenus par les omniprésentes quatre soeurs américaines McCrary, spécialistes du gospel et durant les dernières années où elles pouvaient toutes se voir groupées. Une section de cuivres vient compléter ce groupe riche.

Ça chante et joue fort, net, dès le premier titre rhythm'n'blues fiévreux, "As Long as I Have You", les réponses entre DALTREY et les soeurs McCrary font plaisir à entendre tout comme les remontées de guitares, mais le fondu de fin apparaît carrément forcé. Sur "Where Is a Man to Go?", slow blues emprunté à Dusty SPRINGFIELD, non seulement l'alliance vocale demeure forte mais notre chanteur de 74 ans n'a absolument rien perdu de sa superbe et s'envole, avec un fond musical solaire qui plus est. Idem pour la superbe ballade "I've Got Your Love" de Boz SCAGGS, ponctué d'un solo de guitare serein comme dans son originale plus proche de nous en 1997, ainsi que la très gospel "Out of Sight, Out of Mind" des FIVE KEYS (1956). Toutefois, ces reprises s'écoutent mais sagement, sans soulever guère plus d'admiration que cela.

DALTREY varie les plaisirs dans ses intentions, propose un timbre enfantin et touchant autant qu'il croone sur "Into My Arms" de Nick CAVE et que l'on retrouve aussi sur la jolie "Always Heading Home", composition folk personnelle qui clôture le disque. Il demeure cependant le seul attrait réel d'un disque certes propre et très bien interprété, mais dont on retient peu de 'highlights', comme souvent avec ses disques solo. "How Far", reprise de Stephen STILLS, en fait partie avec sa bonne vibe sudiste. À l'inverse, malgré la beauté du son et de certains arrangements, il n'est pas incongru de trouver les cuivres alourdissants, malgré la surprise laissée par le sax rugeux de "You Haven't Done Nothing" (Stevie WONDER) et "Get on Out of the Rain". Plaisant mais anecdotique.