En préambule, signalons que ce troisième disque de George THOROGOOD ne figure pas dans son site. De la friture existe entre MCA Records et le guitariste. Des problèmes de droits, de production et d’éthique sont à l’origine de cette discorde. Music Corporation of America (MCA) a en fait publié via le producteur Danny Lifman, un sous-fifre vu auprès de Roy Boston et Danny Peel & The Apple Band, neuf démos enregistrées en 1974. Il faut dire qu’en l’espace de deux ans le natif du Delaware s’est fait un nom dans le domaine du boogie blues ; le guitariste remplit désormais les salles et ses deux premiers disques édités par Rounder Records, excellent label indépendant, ont cartonné, de quoi attirer n’importe quel renard cupide dans le poulailler. MCA qui vient de bouffer Decca, Kapp et Uni Records n’hésite guère à se lancer dans ce genre de filouterie. Afin de pouvoir publier une galette plus conforme au standard de l’époque en termes de durée, la firme n’hésite pas à ajouter un titre ("In The Night Time") que Lipman vient de ressortir d’une bande qui prenait jusqu’alors la poussière. On ignore comment cet imbroglio s’est terminé, probablement à l’amiable, mais tel le corbeau de la fable, George s’est juré d’être plus vigilant.

Ce disque au titre ronflant, qui se voudrait comique, propose dix titres enregistrés par THOROGOOD en 1974, alors que le guitariste évoluait dans les circuits des bars et des bikers. Jouant en formule trio avec le fidèle batteur Jeff Simon et le bassiste Michael Levine, qui n’allait hélas pas tarder à rejoindre le paradis, George reprend dix standards piochés dans le blues et le rock.
En ouverture, MCA se prend les pieds dans le tapis en accréditant "In The Night Time" au bassiste Michael Henderson (ancien équipier de Miles DAVIS) en lieu et place des STRANGELOVES *, trio originaire de Brooklyn. Si les New-Yorkais proposaient une version garage bien modérée, THOROGOOD passe ici la vitesse supérieure, rejoignant ainsi les interprétations de DR. FEELGOOD et du J. GEILS BAND.
Le trio ne nous accorde aucune seconde de répit, enchaînant avec l’entraînant "I’m Ready", compo de Willie DIXON popularisée par Muddy WATERS. Si le titre a connu de multiples reprises (Humble Pie, John Hammond, Freddie KING), le jeu de guitare hyper-dynamique risque fort de laisser ses devanciers sur le quai de la gare.
Willie DIXON fait l’objet d’une autre incursion avec "Howlin’ For My Baby" gravé en 1960 par HOWLIN’ WOLF. Si le jeu de guitare s’avère tendu de prime abord, le ton monte petit à petit pour se terminer sur un shufle boogie bien rythmé. Preuve de son incompétence et d’un je-m’en-foutisme incroyable à ce niveau, MCA se mélange encore les pinceaux en accréditant "My Weakness" à Margot Smith et Norris Wilson. Il s’agit en réalité d’un petit boogie personnel des DESTROYERS sans lien avec la ballade des CAPRIS, groupe de Doo-Wop ayant enregistré un single pour Gotham Records.

A l’instar du prolifique Willie DIXON, Chuck BERRY s’inscrit de pied ferme parmi les grosses influences de THOROGOOD qui lui rend hommage avec "Nadine", titre idéal pour une formule en trio power. Une version bien plus captivante que celles de John HAMMOND, Waylon JENNINGS ou celle des Lionceaux, ancien groupe d’Herbert LEONARD.
Autre titre pioché dans le domaine du Rock'n'Roll avec "My Way" **, compo d’Eddie COCHRAN. Le guitariste nous délivre une version plus frustre et moins pop que celle des WHO. Le titre sera repris par DR. FEELGOOD alors que chez nous, Moustique, gloire éphémère du Golf Drouot et non pas de Merlin l’Enchanteur, l’adapta avec "Je suis comme ça".
Hit mineur d’HOWLIN’ WOLF enregistré en 1952, "Worried About My Baby" n’apparaît que dix ans plus tard via l’album Howlin’ Wolf Sings The Blues édité par Crown Records. THOROGOOD transforme le titre en un boogie rock endiablé. Il arrive que la simplicité soit un excellent ingrédient.

George et ses Destroyers peuvent faire preuve de tendresse quand le besoin s’en fait sentir, comme en témoigne "Goobbye Baby", un blues lent obsédant transpercé par quelques coups de slide tirés de derrière les fagots. Encore une fois, MCA se mélange les crayons, oubliant d’accréditer Elmore JAMES, le véritable créateur de cette pépite.
Petit détour en acoustique avec "You’re Gonna Miss Me" ∆ de Guitar SLIM. Là, la guitare nous renvoie aux rives du Delta, l’absence de cuivres gommant la coloration New Orleans de la version d’origine. Outre Hound Dog Taylor qui prit le guitariste sous son aile, une autre figure du blues demeure en connexion avec THOROGOOD en la personne de John Lee HOOKER dont certains boogies aux confins d'un rock primitif ont jalonné la carrière du natif de Wellington.
Cette imposture de la MCA se termine avec 'Huckle Up Baby", un inusité de John Lee HOOKER édité en 1950 par le producteur Bernard Besmann, propriétaire du label Sensation Records. Toute la dureté du finger picking de HOOKER se retrouve captée dans cette nouvelle version.

Paradoxalement, ces démos qui s’enfilent sans ligne directrice précise retranscrivent parfaitement le répertoire d’un guitariste qui n’a jamais changé d’un iota son ancrage musical en presque cinquante ans de carrière. On aurait aimé que la prise de son soit plus limpide, mais Joe Chicarelli, ingé-son qu’on retrouvera plus tard auprès de POCO, Frank ZAPPA et Oingo Bongo, a fait avec les moyens du bord. Trois ans avant qu’il ne perce mondialement, ces démos peuvent faire figure de pièces annonciatrices du talent du guitariste.
MCA qui n’était pas à une canaillerie près a réédité en 1986 le vinyle au format CD avec une pochette et un titre différents sous l'intitulé Nadine. Si cette œuvre demeure juridiquement discutable, elle n’en laisse pas moins entrevoir les capacités d’un gars droit dans ses bottes qui n’a jamais trahi ses convictions profondes.


* The Strangeloves enregistreront aussi sous les noms The Merry Dragons et de Sheep.
** Titre homonyme à celui de Paul Anka, adapté d’un titre de Claude François.
∆ Titre homonyme à celui de Roky Erickson.