Treizième album studio (le 14ème si on prend en compte Better Than The Rest renié par George pour cause de fâcherie avec la MCA) pour Georges THOROGOOD And The DESTROYERS. George n’avait rien enregistré depuis Ride 'Til I Die, trois ans plus tôt, se contentant de se produire dans le circuit des bars et des gros festivals, où son nom fait toujours recette.
Si ce bon George n’a guère changé son fusil d’épaule en matière de Blues et de Boogie depuis ses débuts, ce nouvel opus reste marqué par divers changements : le saxophoniste Hank 'Hurricane' Carter ♦ qui partageait la scène avec son leader et l’inamovible Jeff Simon n’est plus là, remplacé par Buddy Leach. Autre changement, un guitariste rythmique participe à l’enregistrement en la personne de Jim Suhler (ex-Robert Ealey), ce dernier n’est cependant pas un novice, étant de la fête sur Bad To The Bone et se produisant épisodiquement sur scène avec les Destroyers selon les besoins. L’apport d’une guitare rythmique n’est pas nouveau : Steve Chrismar et Waddt Wachtel avaient déjà collaboré avec le natif du Delaware. Autre réaménagement, si Jim Gaines est toujours présent à la prod'. Tom Hambridge vient lui prêter main forte tout en officiant aux percussions. On ignore si ces petits bouleversements y sont pour quelques chose, mais l’orchestration semble plus consistante d’autant que George semble ravi d’en découdre, comme le laisse présager "Hard Stuff" en ouverture, un Blues Rock composé par George et Jim Suhler dans une veine rappelant les Nighthawks de Jimmy Thackery et les riffs de Rick Parfitt.

Enregistré dans trois studios différents au Castle Oaks Studios dans les montagnes de Santa Monica, au Glenwood Place Studios à Burbank et aux célèbres Ardent Studios (là où ZZ TOP enregistra une pléthore d’albums, Isaac HAYES Hot Buttered Soul, CHEAP TRICK Incolor). Ce dernier lieu a laissé de bons souvenirs aux Destroyers avec pas moins de deux disques enregistrés à Memphis. A la lecture de ces lignes, on pourrait penser que le disque est victime d’un manque d’équilibre et de cohésion, sauf que Thorogood et Gaines ont placé le même homme derrière les consoles : Shawn Berman, un ingé-son qui a déjà bossé avec le guitariste.

Dernière petite évolution, outre le titre d’ouverture, quatre compos ou coécritures viennent fleurir l’album, chose rare chez THOROGOOD, preuve que le George fait preuve de créativité tandis que l’investissement de Suhler ne laisse pas place au doute. "I Didn’t Know" un message plein d’humour est à ranger dans la case du Boogie Rock, "Any Town USA" rappelle par ses riffs de gratte les QUO et FOGHAT. Mais la plus grosse surprise provient de "Cool It", un instrumental de Jim Suhler qui nous ramène aux fifties à l’heure où Jump et West Coast Blues avaient le vent en poupe. "Love Doctor" se révèle comme un bon Boogie Rock, une sorte de marque de fabrique.

Comme souvent chez THOROGOOD, les reprises écrèment des titres issus de ses principales influences, du Blues transformé en Boogie Blues. C’est ainsi qu’il revisite "Moving" *, un inusité d’Howlin’ WOLF gravé par le Loup en 1973. Autre obscurité avec "Rock Party", un Boogie Rock endiablé du texan Holland K Smith qui donne le meilleur rôle aux amateurs de gros cubes et de roadster. A grands coups de slide, il rend hommage à son mentor Hound Dog Taylor avec "Give Me Back My Wig", un Boogie Rock dévastateur bien dans l’esprit de l’original. En dehors de son timbre reconnaissable entre mille, le jeu de guitare sur "Takin’ Care Of Business" **, une compo de Rudy Toombs popularisée par Freddie KING, peut faire figure de marque de fabrique. Le ton monte encore d’un cran avec "Huckle Up Baby" de John Lee HOOKER, autre ascendance musicale déclarée de THOROGOOD. Si le titre était à l’origine brut de décoffrage, il s’annonce encore sans la moindre concession, la guitare rageuse et une rythmique implacable font de Boogie Blues le rejeton de "Bad To The Bone".

Après une tempête gorgée de gros riffs et de boogies infernaux, véritables donneurs de lumbagos, le groupe baisse la grand-voile avec "Little Rain", une petite douceur de Jimmy REED. Ici pas d’harmonica comme dans l’original ou avec la reprise des STONES, mais un sax qui apporte du moelleux. Une excellente reprise pas aussi bonne cependant que celle de John Primer. Changement de cap avec "Dynaflow Blues", cette fois George nous renvoie aux rives du Delta avec ce vibrant inusité de Johnny Shines. George prend parfois le risque de surprendre son auditoire avec des titres improbables : sous la forme d’une ballade californienne, il reprend "Drifter’s Escape", mélopée plaintive de Bob DYLAN figurant dans l’album John Wesley Harding. Le fingerpicking et la rythmique remplacent selon nous avantageusement l’harmonica du Barde pour cette ode à la justice et à la liberté. Avec ses roulements de baguettes, son saxophone plein de souplesse et l’accordéon de Rick Steff, "Hello Josephine" s’offre comme une invitation à la Nouvelle Orléans. Si la mélodie apte au déhanchement nous laisse un arrière de Poulet aux Gombos dans la bouche, on se laisse comme souvent attraper par des paroles combinant temps passé et amour inassouvi. "Hello, Josephine - How do you do? - Do you remember me, baby …". Seul petit hic, ce titre méritait une place en milieu d’album.

Produit avec un peu plus d’ampleur, The Hard Stuff apparaît dans les bacs des disquaires durant l’été 2006. Après quelques années de creux, George THOROGOOD revenait sur le devant de la scène, son album grimpant à la 27ème marche du Billboard. Une heureuse alternative face au "Hung Up" de MADONNA ou "Pump It" des BLACK EYED PEAS.

Note réelle :3,5.


♦ Hank Carter est décédé en 2021 à 71 ans.
* Titre homonyme à ceux de Kate Bush et de Supergrass.