On sait combien la période 1984-85 a chamboulé l'existence d'un E STREET BAND pourtant déjà bien établi et populaire bien au-delà du continent américain. Porté par un Bruce SPRINGSTEEN aux muscles saillants, l'album Born in the U.S.A. est un carton mondial. La tournée qui s'ensuit, entre juin 84 et octobre 85, considérée comme la plus grande de l'histoire du rock. Cela aurait pu créer de nouveau remous dans cette bande d'amis fidèles, mais pour l'heure, il n'en est rien. Chacun est à sa place, abat ce qu'il faut de boulot, mais certains ont besoin de faire plus, en dehors. Si pour Nils LOFGREN, guitariste, cela ne change presque rien, pour Clarence CLEMONS, saxophoniste, c'est la confirmation de l'importance qu'il donne à son propre nom sur des disques. Dans le cas de Hero (1985), il s'agit aussi de sa voix.

CLEMONS chanteur, qui l'eût cru, même en le voyant faire quelques choeurs sur scène derrière le Boss ? Et il a la voix qu'on imagine, quelque part entre le stentor et la douceur un peu rauque du soulman ténor (pour ne pas s'éloigner du sax légendaire) qui ne va pas en faire des tonnes, bien plaisante et qui sera plus ou moins exploitée à l'avenir. En tout cas, Hero, enregistré sans groupe réel contrairement à son premier de 1983, préférant les intervenants divers au rythme des pauses que laisse la plus grande tournée de l'histoire du rock entre l'hiver et l'été 85; est un passage obligé pour tout fan du Big Man, quitte à ne pas y revenir. À noter d'abord le nombre de studios différents employés pour y parvenir, avec des noms prestigieux comme le Carnegie Hall à New York et le Record Plant à Los Angeles, et bien sûr une liste de musiciens qui va dans le même sens.

Cela dit, il reste tout de même la grande surprise qu'est ce "You're a Friend of Mine", succès des plus inattendus car véritable hit aux U.S.A. (mais pas que : Belgique, Pays-Bas et Australie également) au moment de sa sortie. Et pour cause, l'excellent mister Jackson BROWNE est de la partie pour un duo vocal sur fond de rhythm'n'blues efficace aux sonorités 80's, de même que l'orgue de Booker T. JONES en guest de marque et les claviers d'un vieux copain, David Sancious, parti voilà plus de dix ans du groupe de SPRINGSTEEN. Les voix de deux personnalités qu'on n'aurait point vu ensemble (peut-être cela vient-il de "Sun City" sorti au même moment, titre collectif et caritatif de LITTLE STEVEN, autre ancien du E STREET BAND ?) collent l'une avec l'autre, contre toutes attentes.

Musicalement, ce n'est pas 'fou', mais le sax est présent dès le départ et tout ça met de bonne humeur, comme le clip des plus simples, où l'on voit le batteur Narada Michael Walden (également parmi les producteurs de l'album) mais pas le bassiste Randy Jackson. Et tandis que la blonde Daryl HANNAH, bien présente dans les choeurs, s'amuse à filmer ce petit moment de récréation musicale entre amis, son compagnon d'alors, Jackson BROWNE lui-même, tient en images une guitare dont il ne joue pas, contrairement à l'Italien Corrado Rustici, grand collègue du bassiste et du batteur. Notez qu'à une ou deux exceptions près, tous ces instrumentistes (CLEMONS compris) figurent ou figureront sur les albums d'un certain ZUCCHERO à l'époque.

Autre impression positive, Hero n'est pas que l'album d'un tube éphémère. Sa qualité est équivalente d'un bout à l'autre avec même des points plus hauts que "You're a Friend of Mine". Encore une fois, Clemons n'est pas un grand chanteur, mais les titres sont adaptés à son registre, même si l'on regrette parfois une forte présence de doublures/choeurs censés donner plus de corps à son interprétation, et ce dès la soul-rock de "Temptation". Bonne fougue toutefois, dans une musique de son époque, un brin répétitive mais sans gravité, avec toujours le sax pour dynamiser ou dynamiter. "I Wanna Be Your Hero" avec le Big Man un peu plus crooner, reprend le ton r'n'b festif du premier titre, en un peu plus surfait par moments. La ballade country "Christina" aux claviers cristallins, preuve que Clemons ne pouvait plus s'enfermer dans ses racines afro depuis 1975 au moins, s'étend un peu mais demeure mignonne.

Les derniers titres en revanche sont du petit lait. La bizarrerie "Liberation Fire", très énergique, est un hommage au gourou Sri Chinmoy avec des aphorismes autour de Mokshagun, nom spirituel de Clemons, avec un delay/écho inédit pour le sax, une basse slapée par Randy Jackson, des synthés-cuivres pas trop envahissants. Les musiciens rythmiques du tube introductif reviennent donc plusieurs fois, et Walden notamment apporte beaucoup à l'irrésistible "Kissin' on You". Un funk endiablé avec des dialogues pour le moins sensuels et même un brin de rap en vogue, où le Big Man charme ses choristes féminins et réciproquement (ah, leur vieux fantasme à 'elles' du géant à peau d'ébène et grosse... euh, forte virilité, ici nettement plus sympa, moins barbant que les hits de Barry WHITE et pour cause, Clemons se rase, il a raison).

"The Sun Ain't Gonna Shine Anymore" de Frankie VALLI en solo sans les FOUR SEASONS, seule reprise de l'ensemble (tout est composé par Clemons avec Walden et quelques autres) est une ballade au ton gospel plutôt appréciable, où la chanteuse Darlene LOVE vient s'illustrer le temps d'un beau canon. On reconnaît bien le sax ronflant et sucré caractéristique dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler le Boss SPRINGSTEEN. Tout comme, d'ailleurs, "Let the Music Say It", à l'origine seulement face B du single "You're a Friend of Mine" et ajouté fort heureusement sur l'édition CD, titre plus 'trucker'/routier avec de grands accords ouverts et claquants à la Bruce. Et de quoi ajouter un effet de paire au côté épique du brillant "It's Alright With Me Girl", rock élancé, avec un bel équilibre chant de Clemo,ns/choeurs, sax fantôme et guitare mordante.