Certains albums arrivent dans nos vies comme un écho discret, d’autres comme une clameur à laquelle on ne s'attendait pas. The Firewatcher’s Daughter appartient à une catégorie plus rare encore : celle des œuvres qui semblent vous reconnaître avant même que vous les ayez découvertes. Le cinquième album de Brandi CARLILE est à la fois incandescent et profondément humain, logé là, à un carrefour où se rencontrent le folk, le rock, la tendresse et une force intérieure inébranlable. Les Américains appellent cela l'Americana, appelez cela comme vous le voulez.

Au moment de s'atteler à l'enregistrement de ce nouvel album dans les studios de Bear Creek, toujours en compagnie de la productrice Trina Shoemaker, les choses ont bien changé au sein du groupe. En effet, Catherine, l'épouse de Brandi, est alors enceinte du premier enfant du couple, et l'histoire de la famille fait écho à celle de l'évolution puis de la régression des lois américaines concernant les droits dont bénéficient les couples homosexuels. Une résonance qui se retrouvera sur l'album suivant. En parallèle, Brandi s'est, pour la première fois, lancée dans une tournée en solitaire, qui aura pour conséquence de renforcer ses liens avec les frères Hanseroth, dont l'absence devient une douleur. Ainsi, c'est tout naturellement que se forme autour de Brandi une communauté, les familles des trois artistes décidant alors de partager le même lieu de vie.

Plus soudé que jamais, le trio signe ici un album d’une richesse impressionnante, où chaque chanson semble porter en elle une part d’histoire, de combat ou de lumière. Si le titre de l’album évoque déjà une certaine tension – celle de la fille du guetteur d’incendie, à la fois témoin des flammes et gardienne du calme – la musique, elle, traduit parfaitement ce jeu d’équilibre entre l’élan sauvage et l’introspection, entre la puissance de la voix et la délicatesse de l’intention. C'est cette alchimie que l'on retrouve sur le puissant "Wherever is Your Heart" qui ouvre l'album, sorte de déflagration folk/rock particulièrement entraînante, qui explique à elle-seule la nomination de l'album aux Grammy Awards en 2016 (une première pour l'artiste qui sera ensuite régulièrement honorée). Lui succède "The Eye", qui en prend le contrepied. Titre délicat, le morceau propose certes une mélodie de guitare acoustique, mais c'est bien les voix entremêlées de Brandi et de ses deux camarades qui lui donnent toute sa richesse. Evoquant ce faux échappatoire qu'est l'alcoolisme, Brandi traite ici un de ses thèmes de prédilection, abordé ici sous l'angle du pardon et de l'espoir d'une rédemption. En concert, ce morceau sera souvent et brillamment interprété a cappella.

C'est ici un maëlstrom d'ambiances et d'influences. L'album prend en effet une tournure rock'n'roll sur les entraînants "Mainstream Kid" et "Alibi", qui dévoilent une facette jusqu'alors inédite de l'artiste. Des guitares vintage, rugueuses, sont le socle sur lequel se déploie une folie maîtrisée, catalysée par un solo rageur particulièrement marquant, dont la puissance est décuplée par la rareté. A l'opposé, Brandi propose des titres très intimistes, à l'image de "Beginning To Feel the Years", écrit et composé par Phil Hanseroth, comme un témoignage de la profondeur des liens qui l'unissent à sa camarade chanteuse. A nouveau, les harmonies vocales exaltent ici une des plus belles mélodies figurant dans le répertoire du groupe. "Wilder", tendre ballade composée par Tim à l'intention de son fils, mêle également et avec brio les sonorités acoustiques et le mariage céleste des voix des trois artistes. Ballade folk dans la plus pure tradition du genre, "I Belong to You" se fait pour sa part une déclaration d'amour bouleversante de Brandi à son épouse. Evoquant les albums passés de la chanteuse, "Blood Muscle Skin & Bone" propose une étonnante mélodie pop sucrée, greffée comme une jeune pousse sur un tronc rock particulièrement savoureux, un mélange qui donne à ce morceau une saveur unique. Et puis, il y a "The Stranger At My Door". Cette fausse ballade sombre et envoûtante, teintée de gospel et de western, constitue à n'en pas douter un des moments forts de l'album. Brandi mêle ici tension dramatique et spiritualité dans une montée en intensité puissante, où sa voix se fait tour à tour confessionnelle et incantatoire. Un des titres les plus cinématographiques et audacieux de l’album.

En fin d'album, la reprise de "Murder in the City" des Avett Brothers nous semble moins nécessaire. Mais l'essentiel est dit. The Firewatcher’s Daughter n’est pas simplement une étape de plus dans le parcours de Brandi CARLILE, il en constitue une pierre angulaire. Un album qui embrasse les contrastes, transcende les genres et célèbre la force du lien, qu’il soit musical, amical ou familial. Constituant un pont avec son passé, cet album nous donne à écouter une artiste au sommet de ses capacités vocales, d'une beauté et d'une pureté flamboyantes, portée par une vision claire et un engagement sincère. Voici un témoignage vibrant de ce que peut être la musique lorsqu’elle ose allier le feu à la tendresse, l’instinct à la maîtrise. Un des essentiels de Brandi CARLILE.

4,5/5