S'il n'a pas connu un succès phénoménal lors de sa sortie, The Story a su s'imposer avec le temps comme une des pierres angulaires du flamboyant parcours artistique de Brandi CARLILE. Pour beaucoup, il marque l’éclosion d’une voix singulière et l’affirmation d’une écriture à la fois brute et pleine de tendresse. Dix ans plus tard, l’artiste américaine décide non pas de réenregistrer cet album devenu culte, mais de le faire revivre à travers les voix d’autres interprètes. Mieux encore : elle transforme cet anniversaire en acte militant, en choisissant de reverser l’intégralité des bénéfices de ce disque à l'ONG War Child, qui œuvre auprès des enfants affectés dans les zones où sévissent des conflits armés.

L’idée naît d’un moment intime : alors que Brandi devient mère, elle est bouleversée par le sort d’enfants nés sous les bombes. Elle décide alors d'agir. Et c’est son épouse, Catherine, qui lui suggère de faire revivre The Story à travers la voix d’artistes établis, afin de bénéficier de l'impact le plus large possible.

Le casting est impressionnant. ADELE, PEARL JAM, Kris KRISTOFFERSON, Dolly PARTON, The AVETT BROTHERS… Ils sont nombreux à avoir répondu présent. Certains sont des amis, d’autres des modèles, d’autres encore de simples collègues. Et chacun apporte, à sa manière, sa pierre à cet édifice de 14 titres. Le résultat ? Un album profondément inégal, certes, mais aussi sincère, vibrant, humain.

Certaines relectures relèvent du petit miracle. C’est le cas du morceau "The Story”, interprété par Dolly PARTON. La légende de la country livre ici une version d’une douceur à peine contenue, où chaque mot semble porter le poids de toute une vie. Là où Brandi CARLILE chantait avec l’élan de la jeunesse sur ce titre emblématique de son répertoire, PARTON chante une gravité tendre. Le vibrato est discret, mais le frisson est là. Cette interprétation, d’une pudeur désarmante, a bouleversé Brandi elle-même, qui confiera plus tard considérer que cette version surpasse la sienne. Sans aller jusque-là, il est vrai qu'il y a dans cette chanson une forme d’abandon total qui séduit et nous emporte.

Autre moment de grâce : “Turpentine” chantée par Kris KRISTOFFERSON. La voix du vétéran de la country est usée par le poids des ans, mais désormais rauque, vacillante, elle n’a jamais été aussi bouleversante. Il ne chante plus, il parle presque, il chuchote, il confesse. Accompagné par la guitare toute en retenue de Chris Stapleton, KRISTOFFERSON transforme ce titre intimiste en psaume murmuré. C’est ici l'interprétation la plus fragile de tout l’album, ce qui la rend paradoxalement très puissante.

D’autres titres convainquent sans émouvoir autant. Les AVETT BROTHERS livrent une version impeccable de “Have You Ever” : harmonies parfaites, instrumentation sobre, fidélité respectueuse. Le groupe propose une reprise équilibrée, portée par un vrai respect du matériau d’origine. De leur côté, les INDIGO GIRLS revisitent “Cannonball”, morceau qu’elles avaient déjà partagé avec CARLILE sur l’album original, puisqu'elles en assuraient les chœurs. Cette nouvelle version, légèrement réarrangée, gagne en clarté et en urgence ce qu’elle perd peut-être en spontanéité. Mais on y retrouve cette alchimie vocale unique, qui fait toujours mouche.

En revanche, tout n’est pas à la hauteur. “My Song” par Old Crow Medicine Show est probablement le point faible du disque. Trop frénétique, leur version dilue l’émotion au lieu de la renforcer. On a le sentiment que le groupe est passé à côté du cœur de la chanson, préférant l’enthousiasme à l’introspection. Résultat : un morceau qui sonne plus comme une fin de kermesse que comme un hommage sensible. Le constat est le même pour “Wasted” interprété par Jim James, le chanteur de My Morning Jacket. L’idée d’envelopper la chanson d’une atmosphère onirique, presque brumeuse, est séduisante sur le papier. Mais le résultat peine à décoller. L’arrangement, trop vaporeux, manque de relief et finit par estomper la mélodie d’origine dans une sorte de langueur flottante.

L’ensemble du disque oscille ainsi entre l’excellence et le convenable, avec quelques titres anecdotiques car trop fidèles aux versions originales, et d’autres plus inspirés (Anderson East, tout en chaleur soul sur “Josephine”, ou Margo Price, très habitée sur “Downpour”). Et puis il y a PEARL JAM qui s’attaque à “Again Today” avec cette urgence contenue qui fait toute la force du groupe. La voix d’Eddie Vedder, toujours sur le fil, donne à la chanson une gravité nouvelle, presque militante. Là où la version originale contenait déjà une tension sous-jacente, cette reprise la fait éclater au grand jour : c’est un cri, un appel, un refus de l’apathie. En moins de cinq minutes, le groupe transforme un morceau intimiste en manifeste électrique. C’est une réussite totale, une des rares reprises ici qui transcendent franchement l’originale.

L’album se conclut sur la reprise d’“Hiding My Heart” par ADELE, enregistrée en 2011. À l’époque, la chanteuse avait choisi ce morceau pour figurer en bonus de son mythique album 21. C’est un juste retour des choses que de refermer le disque sur cette voix-là, ici toute en retenue. Comparé à d'autres albums de reprises à vocation caritative, tels que Red Hot + Blue (Cole Porter) ou I’m Your Fan (Leonard COHEN), Cover Stories peut sembler un peu sage. Mais il a ce que d'autres n’ont pas : une chaleur humaine palpable, une sincérité désarmante, une volonté commune. Voici qui justifie amplement son existence.