Give Up The Ghost est un album important dans la carrière encore jeune de Brandi CARLILE. En effet, après avoir eu tout le temps de composer, durant plusieurs années, les morceaux constituant ses deux premiers albums, l'Américaine ne se voit cette fois-ci octroyée que quelques mois pour concevoir et mettre en boîte le successeur de The Story. Néanmoins, l'artiste est sur la pente ascendante, et le succès modeste mais indiscutable de son précédent album lui ouvre de nouvelles portes et lui permet de voir plus grand. Après avoir été soutenue au début de sa carrière par le producteur Rick Rubin, Brandi et ses indissociables "Twins" réalisent enfin un album avec lui. Celui qui sort d'une collaboration avec METALLICA, ou encore GOSSIP, emmène dans ses bagages quelques connaissances : Chad Smith, batteur des RED HOT CHILI PEPPERS, qui officie sur 4 morceaux, ainsi que Benmont Tench, pianiste et claviériste de TOM PETTY & THE HEARTBREAKERS, que l'on peut entendre sur trois titres de l'album.

Ce troisième album de Brandi CARLILE évite l'écueil habituel de ces artistes qui, galvanisés par de longs mois passés sur la route, couchent en studio leur ressenti et leurs impressions relatives à cette vie nomade. Si la vie en tournée est évoquée, ce sera à travers un seul morceau, "Dying Day", titre folk-rock énergique écrit et composé par Tim Hanseroth. Il y a une saveur délicatement country qui se dégage de cette pièce entraînante, la première conçue pour cet album. Brandi souhaite voir plus loin que l'horizon offert par le tour-bus, elle désire épouser le monde, évoquer des sentiments plus que des moments de vie. C'est cette idée que porte cette silhouette insaisissable et éthérée qui orne la pochette de cet album.

Il y a ici de grands morceaux, qui feront date dans la carrière de l'artiste. L'introductif "Looking Out", qui bénéficie de la présence aux chœurs d'Amy Ray (INDIGO GIRLS) en est un. Titre folk-rock agrémenté d'un piano, ce morceau puissant tire son nom de la fondation créée par Brandi CARLILE, qui soutient des associations oeuvrant pour le droit des femmes et des homosexuels, l'éducation, la santé et les droits humains. C'est à travers cette organisation que Brandi rencontrera Catherine, qui deviendra son épouse en 2009. Notons également cette splendeur qu'est "Pride & Joy", qui bénéficie d'arrangements symphoniques supervisés par Paul Buckmaster (Elton JOHN, The ROLLING STONES, David Bowie notamment). Cette chanson démarre comme une ballade folk avant de devenir quelque chose de plus grand, une envolée qui monte en intensité et nous cueille sans crier gare, en particulier sur les refrains qui voient Brandi déployer cette voix légèrement cassée, source d'émotions brutes et puissantes. Le morceau, écrit de la perspective d'un enfant qui, ayant grandi, doit subir la perte de ces parents, est une des grandes pièces folk de notre temps, et un phare dans le répertoire de l'artiste. Une beauté bouleversante.

Premier single de l'album, "Dreams" se fait plus léger et moins convaincant, à l'image de la bleuette folk "I Will" (qui évoque la fin d'une relation amoureuse), ou encore "If There Was No You", qui dans un style similaire est sauvée par un refrain délicat. Mais l'album n'a pas pour autant encore livré tous ses grands moments. "Touching The Ground", titré ouaté qui met de nouveau en exergue le mariage réussi entre piano et guitare acoustique, et reflète toute la sensibilité de Tim Hanseroth, est une bonne surprise tardive, au même titre que "Oh Dear", morceau intimiste dont les arrangements vocaux sont largement inspirés de QUEEN et de l'album A Night At The Opera. Ajoutons à ces indéniables réussites "That Year", une chanson écrite à propos d'un ami d'enfance dont le suicide à l'âge de 16 ans, marqua profondément Brandi. Il est ici question de colère, d'incompréhension, puis d'acceptance et de pardon. C'est tout un cheminement que narre ici la chanteuse sur cette pièce envoûtante. "Before it Breaks" frise pour sa part le chef-d'œuvre, cette ballade sombre piano-voix se transformant, avec l'arrivée de la section rythmique et de la guitare électrique, en un rock délicat dont la puissance est décuplée par la flamboyante prestation vocale de la chanteuse. La fin se fait volontairement plus chaotique, la distorsion prenant le dessus, et donne à ce morceau une authenticité qui nous cueille et nous emporte.

Et comment oublier "Caroline", un morceau écrit par Brandi et les Twins à propos de sa nièce, née quelques mois plus tôt. Dans un style honkytonk, ce morceau enjoué inonde l'album de sa lumière, et doit beaucoup à la participation d'Elton JOHN, qui a enregistré les lignes de piano de ce titre festif. Véritable idole pour Brandi, qui déclare "Il est ma plus grande influence, depuis mon enfance. Tumbleweed Connection est mon album de chevet, avec Captain Fantastic. J'avais la sensation que "Caroline" avait cette même vibe funky que l'on peut retrouver sur ces albums d'Elton. Je lui ai demandé d'enregistrer, et il a tout simplement accepté, de manière très naturelle". Servi par une mélodie guillerette, ce morceau inonde l'album d'une joie de vivre communicative.

Give Up The Ghost marquera une belle progression pour Brandi CARLILE, l'album se hissant à la 26ème place dans les charts. Et surtout, il renferme une demi-douzaine de chansons qui deviendront des essentielles de l'artiste, représentatives de sa personnalité à la fois tendre et brute, énergique et protéiforme. Un des albums essentiels de la chanteuse américaine, qui donne ici à ce mélange bariolé entre folk et rock une saveur nouvelle.