En 1962, Charles AZNAVOUR offre un album accompagné par les arrangements élégants de Paul Mauriat et Burt Random. En parallèle, cette même année, il enregistre un album entièrement anglais The Time Is Now où il reprend et adapte ses chansons pour un public international. Partie intégrante de la scène musicale française autant en tant que chanteur et interprète qu’en tant que parolier pour d’autres artistes.

Dans un geste d’hommage aux jeunes artistes des années 60, AZNAVOUR crée "Alléluia". Si les premières secondes laissent paraître une chanson très classique, l’on bascule très rapidement dans rythme binaire rapide et des airs twistés. Il adopte le langage musical du moment, il montre qu’il sait aussi le faire et surtout, il défend la jeunesse, ses idées et ses excès. Il va même jusqu’à les aider puisqu’il écrit pour certains d’entre eux.

"Les Comédiens" incarne l’art d’AZNAVOUR dans ce qu’il y a de plus théâtral et populaire. Sur un texte de Jacques Plantes, il évoque avec tendresse et panache la vie des artistes itinérants. Le mélodie, simple et joyeuse, se déploie sur un enchaînement de couplets qui mime l’entrée en scène, un défilé de comédiens, créant un effet cyclique, sur des progressions rythmiques qui donnent à la chanson des allures de manège musical. Le tempo est vif, et il y a dans cette chanson, presque burlesque, une ambiance de fête où l’humain côtoie le spectacle. Chanson-théâtre entraînante et raffinée avec un AZNAVOUR tendre à la fois maître de cérémonie et comédien.

Pour le reste de l’album, c’est majoritairement un grand défilé de chansons d’amour déclinées sous toutes leurs coutures. "L’amour C’est Comme Un Jour" ouvre la marche dans un registre dramatique. L’orchestre classique est déployé notamment par des cordes qui vont dans des crescendos douloureux. Un air lent, habité et une voix grave. "Notre Amour Nous Ressemble", plus nerveuse, joue sur le contraste des rythmes : de manière un peu floue, une valse musette flirte avec un tango dans une élégante instabilité. Le temps s’allège "Au Rythme De Mon Cœur" derrière des couleurs légèrement pop contrairement à "Tu N’as Plus" qui prend des accents tragiques. AZNAVOUR chante, parle et assène presque. La mise en scène vocale est marquée sur une ballade music-hall où chaque pas semble être un geste dramatique. "Dolorès" s’inscrit dans la même veine mais la musique festive contraste étrangement avec la voix larmoyante. "Esperanza" introduit un souffle dansant. Ce morceau en bossa nova est porté par des cordes furieuses, des cuivres, des rythmes percussifs. Il flotte, dans l’interprétation, une nostalgie chaleureuse.

"Trousse-chemise" se situe sur l’île de Ré. La chanson, est écrite par Jacques Mareuil. L’arrangement musical tout en douceur ponctue la voix qui joue avec les silences. Narrative, elle dépeint une scène bien plus sombre, et dénonciatrice je l’espère, que les violons tendres n’y laissent paraître. Enfin, "Les Petits Matins" est une clôture en clin d’œil à la première chanson de l’album dans un même style énergique et moderne.

Avec cet album, AZNAVOUR traverse les styles avec équilibre. Il livre un recueil d’émotions, d’histoires et d’ambiances où la variété française prend les traits d’un théâtre miniature. Dans la continuité des disques précédents, il révèle des textes ciselés, aux airs entêtants, une voix voilée dans un registre plus dramatique. Ne nous voilà pas foudroyé mais nous nous y laissons emporter.