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I MUVRINI - I Muvrini 85 (1985)
Par MARCO STIVELL le 24 Avril 2010          Consultée 7851 fois

Ah la Corse, la belle Corse... De la grande ville au village pittoresque, de l'urbanisme à la campagne, de la mer à la montagne, tous les paysages semblent s'y rencontrer, on peut dire qu'il y en a pour tous les goûts. Mais quand on parle de l'Île de Beauté, c'est surtout pour faire ressortir son nombre annuel d'heures d'ensoleillement tout à fait exceptionnel. C'est l'endroit rêvé pour des Français qui veulent de belles vacances pas trop loin de chez eux, avec l'assurance que le mauvais temps ne viendra pas tout gâcher.

La pochette du nouveau disque d'I MUVRINI, groupe le plus en vogue de l'île à ce moment-là et celui qui ose le plus aussi, autant pour le fait de chanter en corse (ce qui lui a valu l'interdiction de se produire dans certains villages) que par ses expérimentations musicales, nous conforte un peu dans cette idée... et en même temps pas du tout, bien au contraire. D'un côté il y a l'écriture fantaisie, le soleil, le ciel bleu mais d'un autre, il y a ce terrifiant rouleau de vagues, le genre difficile à imaginer en Méditérranée, et qui est dirait-on sur le point de tout ensevelir.

Mais qu'a t-il bien pu se passer ? Lacrime était certes partagé entre chansons lumineuses et d'autres plus sombres, bien qu'offrant parfois plus un décor onirique ("A Stefanu"). Mais là... Là c'est vraiment l'aspect sombre qui prend le dessus, et à ce titre, je me pose toujours des questions concernant la dédicace de ce nouvel album : "...à A. DELFINI", soit Anghjulu DELFINI, guitariste qui accompagnait le groupe depuis quelques années et que l'on peut entendre sur ...E Campa Quì et (surtout) Lacrime. Comme les biographies du groupe parues jusqu'alors (sur Internet) sont plutôt avares en renseignements, notamment sur cette période-là, on ne peut que faire des suppositions. Etant donné le registre noir de l'album et d'un titre en particulier, ainsi que le fait qu'il y ait très peu de guitare en dehors de la classique, ces suppositions ne sont pas jolies jolies, mais bon passons...

La première partie, ancienne face A du vinyl, représente à mes yeux tout simplement la meilleure parmi tout ce que I MUVRINI a produit depuis ses débuts et tout le temps de la période Ricordu (leur maison de disques). Elle s'ouvre avec "Sò", fruit d'une collaboration avec Patricia GATTACECA. On est d'emblée interpelé, complètement sous le charme de ces sonorités classisantes qui émanent du piano et des synthétiseurs constituant d'ailleurs, avec le couple violon-violoncelle, le groupe des instruments principaux de l'album. Le titre marche comme une valse à trois temps, les arrangements vocaux sont fabuleux... Et encore, ce n'est que le premier ! Le talent de compositeur de Jean-François BERNARDINI explose littéralement avec les quatre morceaux restants, dont il signe également la plupart des textes. "Pastore ci Vene" est vraiment le plus beau morceau qu'il ait écrit pour des enfants, magnifiquement chanté par Graziella SANTUCCI (qui se dédouble), allégé par une fine étoffe de flûte traversière et de violon... Jean-François introduit doucereusement en s'accompagnant de sa guitare "Nanna Pè i Ciucci d'Oghje" qui, du coup, porte bien son nom (berceuse pour les nourissons d'aujourd'hui). Mais la chanson se révèle vite beaucoup plus riche, avec un refrain qui monte en puissance, souligné par le violon ainsi que les touches noires et blanches de Christian MICHELI qui se réservent de solides échappées. On a même droit à un pont au piano électrique CP-80, tout bonnement génial. Cette chanson est un des passages-clé de l'album, le genre de trésor folk-variété classique qui restera inimaginable par ceux qui ne gardent en tête "que" le I MUVRINI pop de nos jours... Après ça, que pouvait-on espérer de plus qu'une chanson plus relâchée, conviviale ? Mais ça ne veut pas dire naïve ou innocente, car il y a des mini-passages instrumentaux bizarroïdes et complètement à part du reste de la chanson au passage du refrain au couplet. Seulement voilà, on accueille toujours ce refrain "Lantantiruleruleruleru, lantantirulerulerula, mi senti lu mondu interu, e lantantirulerulerula..." avec le plus grand bonheur (j'en tape presque des mains en chantant avec le groupe à chaque fois !).

On arrive enfin à the last but not least, "E Curnaghje". Que dire sur cette grande pièce trop méconnue, ce petit chef-d'oeuvre, sans paraître trop démesuré ? Ecoutez donc ce magnifique couplet (avec un son de synthé osé mais qui ne dénote pas) chanté par Roseline BARTOLI et Jean-François... Ce sublime refrain amené doucement mais sûrement, avec la voix d'Alain qui survole celle des autres, ces harmonies, ce passage instrumental de toute beauté avec le violoncelle qui pleure, cette petite pointe de saxo sur la phrase de Roseline, la reprise du refrain, peut-être encore plus fort qu'à la première fois. Et puis, et puis... Il y a la coda. On croit que le morceau se termine, puis la jeune Graziella vient faire de superbes petits vocalises sur lit de synthés, et se produit l'improbable : le saxo revient pour lancer une mélodie qui vient augmenter le tempo de la valse (il ira toujours plus vite), le piano suit gaiement, puis c'est le violon, puis le piano, puis le saxo, puis tous en même temps au moment de se faire aspirer par le fade-out... Bon sang mais c'est vraiment gééééééééénial... Que dire sinon que cette première face est tout simplement parfaite ?

Du coup il est inutile de prévenir que la comparaison avec la deuxième partie est difficile. Elle contient aussi un petit lot, plus minime il est vrai, de morceaux essentiels à commencer par "Sognu" qui porte lui aussi bien son nom (transportés par la mélodie et la voix de Roseline, on croirait presque entrer dans un "rêve"), les très beaux "M'innamoru" et "Venite incu me", avec son refrain entêtant. "Malincunia" (mélancolie...), chant polyphonique a-cappella écrit par Jean-François, n'est pas le titre le plus réjouissant mais bon... A ce titre, on arrive enfin au morceau précédemment décrit, le plus noir de tous : "Di Surisi e di Sogni" offre des parties d'instruments classiques (y compris la guitare) tandis que Jean-François lit un texte à voix haute. La tonalité est très sombre musicalement, met mal à l'aise, est aussi gaie qu'un enterrement. Certes, je peux comprendre la tristesse du groupe pour ce que je crois être, mais c'est vraiment dur à entendre. Quitte à avoir une fin pour cet album, je préfère "M'innamoru". Notons tout de même la touche éventuelle d'optimisme sur la conclusion.

A part une fin en demi-teinte, on a là vraiment un excellent album, et s'ils ne poursuivront pas dans cette voie plus "classique", il reste à mon goût le meilleur témoignage qu'ils pouvaient délivrer. Encore plus abouti que Lacrime, pas encore pop-variété, complètement à part dans la discographie de ce groupe dont la musicalité ne sera plus à prouver, juste à apprécier et vivre pleinement...

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   MARCO STIVELL

 
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- Alain Bernardini (chant)
- Jean-françois Bernardini (chant, guitare acoustique)
- Roseline Bartoli (chant)
- Graziella Santucci (chant)
- Christian Micheli (piano, synthétiseurs, arrangements)
- Bruno Jouvenel (violons)
- Pascal Quiniou (violoncelle)
- M. Morandi (saxophone)
- T. Peri (flûte traversière)


1. Sò
2. Pastore Ci Vene
3. Nanna Pè I Ciucci D'oghje
4. Mi Senti Lu Mondu Interu
5. E Curnaghje
6. Venite Cu Me
7. Sognu
8. Malincunia
9. M'innamoru
10. Di Surisi E Di Sogni



             



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