La fin des années 1990 est une interminable traversée du désert pour Geoff Downes et son fidèle chanteur John Payne, qui ne peuvent malheureusement rien faire pour l'enrayer. Pourtant les choses bougent quand même : en 1999, John Wetton et Carl Palmer proposent ainsi à Geoff Downes de reformer les 3/4 du line-up original d'ASIA avec le guitariste Dave Kilminster. Mais Geoff Downes refusera l'offre, et Wetton et Palmer seront alors obligés de tourner sous le nom QANGO pour éviter un procès.

Geoff Downes, pendant ce temps-là, entre deux albums conventionnels, enregistre des musiques pour des documentaires animaliers et des jeux vidéos. Vous pensez que je rigole ? Pas du tout ! La preuve en est avec Rare, album oublié de la discographie d'ASIA sorti en 1999. Si la nature de cet album pourra faire sourire les amateurs de la grande époque d'ASIA et que son contenu ne suscitera probablement rien d'autre qu'une gentille indifférence de la part des amateurs du combo progressif britannique, il nous revient quand même d'analyser l'objet pour ce qu'il est : un album de pistes instrumentales composées par Geoff Downes pour diverses commandes et réunies ici sous le nom ASIA. Ces morceaux ont-ils été réellement conçus dès leur origine pour être publiés sous le nom ASIA ? J'en doute quand même un peu, mais au fond ça n'a pas vraiment d'importance, car de toute manière, la publication de Rare en 1999 permettait à Geoff Downes de faire parler à nouveau du groupe, qui n'avait alors rien sortit d'inédit depuis Archiva en 1996.

Les pistes 1 à 16 constituent la bande originale d'un documentaire sur... les saumons, baptisé "Salmons : Against The Tides". Plutôt vous le dire tout de suite, je ne l'ai pas vu. Autant je n'ai rien contre un bon documentaire animalier avec des bébés tigres mignons tout plein et des perroquets qui parlent, autant un docu sur les saumons me laissera franchement de marbre. Je préfère encore le saumon dans mon assiette avec de la mayonnaise.

Cette première partie de l'album fait la part belle aux claviers de Geoff Downes, au point que l'on en oublierait presque que John Payne figure bien sur ces pistes, mais de manière beaucoup plus discrète que d'habitude, évidemment. Les thèmes du documentaire animalier consacré aux poissons sont un peu répétitifs, et si quelques moments sont remarquables de par leur grâce et leur beauté, on ne pourra que regretter qu'ils fussent trop court. Certains thèmes sont assez stylés, comme "The Sharks" avec ses effets sympas, ou bien encore "The Ghosts" où John Payne se fend de quelques accords de guitare fugaces. Le son typique de Geoff Downes se reconnait toutefois immédiatement. Du reste, rien de bien trépidant, et on se dit au final que la remontée vers la mer d'un groupe de saumons n'a pas du énormément inspirer notre claviériste britannique. Ca tombe bien, moi non plus...

Quand aux pistes 17 à 22, il s'agit de l'OST inédite d'un jeu vidéo initialement prévu pour une sortie sur console Sega Saturn mais n'ayant malheureusement (ou heureusement ?) jamais vu le jour. Je dis "heureusement" car quand on sait dans quel nanar vidéoludique s'est compromis Brian May dans les années 1990 ("Rise Of The Robots", pour ne pas le nommer), je ne sais pas ce que ça aurait donné avec Geoff Downes ...

Mais le titre "The Indians", avec un solo de guitare magistral signé John Payne, suffit à nous convaincre que cette fois, l'inspiration est au rendez vous ! Idem sur "The Angels", titre ambient assez classieux, où règne un climat de calme avant la tempête. Cette fois-ci, on se prend plus au jeu (c'est le cas de le dire) et on en vient même à regretter que le jeu vidéo concerné ne soit pas sorti, car un jeu avec d'aussi bonnes ambiances aurait été franchement cool. "The Horizons" est ainsi un très beau titre, avec une guitare superbe, sur laquelle la voix de John Payne n'aurait pas dépareillé. Mais pour ça, on repassera. "The Game" sera la seule piste énervée du disque, où les programmations s'emballent et où les guitares de John Payne se font résolument metal. On y devine une musique conçue à l'origine pour une scène d'action. "The Exodus" clôt l'exercice avec des sonorités très "dance", devenues malgré elles un peu ringardes aujourd'hui.

Rare est donc un album qui porte finalement assez mal son titre : car "rare", il l'est certes évidemment, vu que cet album est aujourd'hui difficilement trouvable dans le commerce et qu'il n'a pas été réédité de la même manière que l'ont été Aqua, Aria, Arena et Archiva en 2005. Mais ce n'est pas un album "rare" dans le sens où finalement, son écoute se révèle passablement ennuyeuse et relativement rébarbative, même sur le long terme, et qu'en définitive il ne s'agit pas d'un disque exceptionnel, malgré une deuxième partie plus inspirée que son début. Heureusement qu'un an plus tard, Downes et Paynes reviendront à un exercice de composition plus conventionnel avec la sortie du très bon Aura.

Pistes 1 à 16 (B.O. du film sur les saumons) : 1/5.
Pistes 17 à 22 (OST du jeu vidéo inachevé) : 3/5.

Note finale : 2/5.

P.S. : si l'on fait exception de l'album Then & Now (1990) qui était à moitié une compilation, Rare est le premier véritable album studio d'ASIA à rompre la tradition des titres qui commencent et finissent par un A. Une tradition qu'ASIA abandonnera de façon presque définitive à partir de l'album Silent Nation en 2004.