Jean-Louis Aubert chante la poésie de Houellebecq...
Voilà un programme alléchant pour certains, effrayant pour d'autres.

L'art de mettre en musique un poème et ses vers est dangereux. Le téméraire qui s'y mouille doit obéir à des exigences particulièrement sévères en apprenant à concilier à la fois dépendance et émancipation, afin de respecter les mots et les rimes d'une œuvre qui constitue l'essence même de son inspiration, le tout en vue d'une seule et unique finalité : la sublimation du poème par la musique et inversement. Que l'on soit partisan ou non de cette démarche artistique audacieuse, il apparaît difficile de nier le caractère intrigant de cette collaboration entre Jean-Louis Aubert et Michel Houellebecq.

Le premier qu'on se le dise, tout le monde l'aime. Chanteur emblématique d'un groupe qu'on ne présente plus, Aubert c'est une voix et une gueule qui évoquent sans cesse le gosse qu'il a été. Né avec ce sourire et ces cheveux longs, le bonhomme fait partie des rares qui finiront par s'éteindre sans avoir réellement vieilli.
Le second, c'est un peu plus compliqué. Dégarni, silhouette fragile, auteur controversé d'une œuvre à la tonalité pessimiste et volontairement provocatrice, Houellebecq fascine ou répugne mais il sait écrire, c'est dit.
Deux profils contrastés donc, qui semblent s'être retrouvés autour d'une esthétique commune et d'une envie de célébrer l'amour et la solitude, si solidaires finalement.

L'album s'ouvre sur « Sant'Engracia », mise en bouche intimiste et délicate qui annonce l'orientation musicale choisie par le chanteur. En effet, excepté deux ou trois morceaux aux accents plus rock et plus violents comme « Reflets du vide (Matière)» absolument dispensable, la plupart des poèmes trouvent leurs musicalité dans une folk très épurée où une guitare acoustique accompagne la voix si juvénile d'Aubert. Parfois un piano discret mais terriblement essentiel se fait entendre, notamment sur « Lorsqu'il faudra » dont les arrangements parviennent à magnifier un texte déjà bouleversant. Ce titre - un des meilleurs de l'album sans aucun doute - rappelle d'ailleurs les morceaux composés par Aubert pour la bande-originale du film La Jalousie, le dernier du génial Phillipe Garrel.
Par conséquent, même si chaque poème possède sa propre singularité, sa propre identité, la mise en musique du chanteur installe au fil de l'album une homogénéité quelque peu monotone et seulement deux ou trois morceaux tel « Novembre » parviennent réellement à sortir du lot grâce à la seule force d'écriture de Houellebecq.
Cependant, si la tonalité de l'album peut donc sembler parfois lassante, force est de reconnaître qu'avec « Voilà ce sera toi », la sensibilité et la complicité des deux sexagénaires ( enfin presque ) atteignent un paroxysme esthétique assez imprédictible. Un texte qui oscille entre résignation et félicité amoureuse, une musique avec des accords de piano décidés et éloquents et un refrain qui sonne comme une somptueuse évidence... Cette chanson qui mérite à elle seule l'écoute de cet album est un petit miracle qui parvient à vous remémorer l'effervescence amoureuse en quelques minutes, profitez-en.

L'entreprise périlleuse de Jean-Louis Aubert est donc une franche réussite malgré une certaine torpeur qui empêche l'album d'atteindre des sommets. Finalement, on ne retiendra parmi les seize morceaux (!) seulement deux ou trois fulgurances, c'est peu mais bien assez pour apprécier et reconnaître la qualité d'une oeuvre à l'ambiance méditative attachante.