Un jour, inéluctablement, on enterre ses idoles de jeunesse au fond d’une caisse à vinyles, on rend son abonnement au kop, on se met à remplir des tableurs Excel pour gagner sa croûte, pensant naïvement que l’entrée dans l’âge adulte est un processus irréversible. Et puis ces pauvres DJ décatis d’autrefois reviennent tout d’un coup avec le couteau entre les dents : Richard D. JAMES nous submerge d’inédits, Amon TOBIN se lance dans la conquête de l’espace, même μ-ZIQ semble y croire de nouveau... et SQUAREPUSHER ! SQUAREPUSHER, éternel bidouilleur excentrique, a mis de côté ses projets dans la robotique et nous a concocté un petit album d’IDM de derrière les fagots : Damogen Furies.

L’album précédent, Ufabulum, invite toutefois à la prudence. Tom JENKINSON y jouaient déjà les pécheurs repentis, avec une électro mélodieuse molle du zinzin qui était passée à peu près inaperçue. Il semblerait que l’intéressé cultive quand même une certaine lucidité sur sa création, puisque Damogen Furies reprend la solidité rythmique des meilleurs morceaux d’Ufabulum : « Drax 2 », « Dark Steering » et « 303 Scopem Hard ». Le rock falot de l’EP Music by Robots a heureusement été évacué après l’arrivée des secours.

Dès les premières pulsations de la boîte à rythmes sur « Stor Eiglass », on sent que Tom JENKINSON a décidé de sortir la grosse artillerie. Le grand SQUAREPUSHER du début des années 2000 est de retour, celui qui maniait les mélodies enchanteresses et les rythmiques épileptiques avec malice. Les nappes de synthés semblent surgir du magma des percussions comme de petites bulles d’oxygènes, signe qu’une vie d’esthète est possible au milieu de ce capharnaüm pour aliénés en goguette. L’IDM rêveuse se mâtine d’une gros zeste de Drum n’Bass, ce qui rend la mixture un peu plus relevée que sur les livraisons précédentes.

D’autant que le chef a fait un véritable effort pour varier sa tambouille. On passe de l’atmosphère oppressante de « Baltang Ort » aux stridences véloces de « Rayc Fire 2 », qui aurait pu être la bande son allumée d’un jeu d’arcade des années 80. Même quand SQUAREPUSHER fait appel aux influences jazzy de sa période Just a Souvenir/Numbers Lucent, il concocte un morceau lumineux et captivant (« Kontenjazz »). Le sommet de l’album se trouve néanmoins sur « Baltang Arg », sorte de fresque musicale d’une mégapole qui déraille, où les marteaux-piqueurs rivalisent avec le brouhaha du métro pour couvrir la voix sirupeuse des publicités.

Reste que Damogen Furies, s’il efface le sentiment mitigé laissé par les albums précédents, n’est pas la réussite incontestable qui aurait permis de mettre tout le monde d’accord. SQUAREPUSHER lorgne de plus en plus vers VENETIAN SNARES, mais ses morceaux les plus agressifs, « Baltang Ort », « Kwang Bass », manquent de ce petit grain de folie essentiel pour briser la monotonie des assauts rythmiques. La recherche sonore déployée ici n’est pas non plus renversante, ce qui ne manquera pas de décevoir ceux qui admire en Tom JENKINSON le géniteur d’Ultravisitor.

Sur son 14e album studio, le DJ Britannique donne plus que jamais l’impression étrange de composer sa musique délirante avec le sérieux d’un académicien récitant les règles d’accord du participe passé. Le contraste est particulièrement saisissant avec son frère CEEPHAX, qui semble avoir dédié sa création entière au loufoque. Damogen Furies reste un bon album, solide, qui contient quelques passages mémorables. On voudrait y voir le premier signe d’un réveil tonitruant de SQUAREPUSHER dans les années à venir.