Il semblerait qu’Hard Normal Daddy soit l’album le plus apprécié de SQUAREPUSHER. Ce second album, premier sur le label WARP, explore en effet de nouveaux horizons et s’éloigne relativement de la collection d’étrangetés sans lendemain du premier album. Feed me weird things était en effet très, rectification trop expérimental. Une vertu que les amateurs d’IDM ou de drill’n bass affectionnent, mais qui laissera les autres circonspects dans la grande majorité des cas.

Autre porte, autre univers. Bien moins rustre que son prédécesseur, Hard Normal Daddy tente en quelque sorte, derrière une certaine naïveté de façade, de brasser un peu plus large. Son titre d’ouverture, "Coopers World", une élégante démonstration d’Acid Jazz qui en oublierait presque les affinités électroniques et expérimentales de son géniteur, est simplement agréable à l’écoute. A jouer la carte d’un Jazz accessible, Tom Jenkinson séduit. On en retrouve des échos par la suite, comme sur les élégants "Papalon" ou "E8 Boogie". Chacun discourt certes dans des sonorités un peu plus trafiquées, mais conserve dans l’âme l’esprit d’une partition libre et pourtant suffisamment respectueuse des usages de la musique populaire pour ne pas rabrouer les auditeurs peu habitués à ce genre de phénomène.

Cette impression agréable sur laquelle Hard Normal Daddy semble vouloir insister, se retrouve malencontreusement sapée à coup de titres plus bruitistes ou rythmiques comme le déglingué "Chin Hippy" ou le saturé et répétitif "Fat Controller". Là où Richard D. James réussissait sur son album éponyme à faire convoler rythmiques complexes et mélodies simples, Tom Jenkinson semble vouloir persévérer à opposer l’un à l’autre. Ou bien tente-t-il réellement de les marier? C'est ce que tentent de nous prouver "Anirog 09" ou encore "Male Pill Part 13" qui troque son Jazz contre des nappes ambiantes. Les exceptions ne font ici que confirmer la règle.

Ce n’est pas tant cette opposition qui gêne ici, et qui finalement parvient à créer la surprise pour les moins réfractaires aux deux styles. Mais malgré son Jazz qui dépasse les frontières techniques du genre grâce à quelques apports électroniques, SQUAREPUSHER ne parvient que rarement à nous faire décoller. L’album est pourtant inventif et tente d’aborder la chose d’un point de vue accessible. Trop occupé à faire bien, il en oublie malheureusement de nous faire rêver.

Hard Normal Daddy nous fait donc passer un bon moment. Pour peu qu’on suive le fil, il arrive parfois à toucher du doigt cette matière indicible qu’est le sublime. Parallèlement, il faute si peu qu’il est réellement difficile de lui adresser des reproches. On comprendra donc bien comment certains, sans doute dans un trip particulier, placent Hard Normal Daddy tout en haut de la liste des disques à emporter sur une île déserte. Nous autres, ceux pour qui la mélodie prime, ceux pour qui l’intensité est nécessaire, ceux pour qui un enchevêtrement de notes et de battements rapides et logiques ne suffit pas ou encore tout simplement ceux pour qui agréable ne veut pas dire indispensable, ceux-là apprécieront simplement Hard Normal Daddy pour ce qu'il est, un bon album de musiques.