Rodéo avait moins marché que son prédécesseur, mais suffisamment pour permettre à ZAZIE de s'imposer durablement à travers le paysage francophone des années 2000. À titre personnel, ce disque et son succès resteront une énigme, car l'aspect monotone de l'univers de la chanteuse, perceptible sur une poignée de titres et de façon récurrente (excepté l'album Zen), s'y fait mieux ressentir qu'ailleurs, si l'on ne parle pas de son tout premier bien entendu.

Totem reprend le même personnel et d'abord au niveau de l'écriture, avec Jean-Pierre Pilot et Philippe Paradis en plus de ZAZIE pour l'ensemble des chansons (sauf "07 Dec." qui est d'elle seule). Une formule identique à celle de Rodéo, et pourtant on remarque une différence considérable : l'inspiration, de nouveau bien présente !

Il suffit d'écouter les deux premiers titres pour se rendre compte du progrès accompli et reconnaître que ça fonctionne mieux que la quasi-totalité de l'album de 2004 (à part "Oui", "Slow" et "Lola Majeure"). "Je Suis un Homme" est une chanson marquante avec sa peinture de la nature humaine, bourrée de contradictions, sur fond de percussions empruntées à la musique amérindienne. On l'entend en boucle en 2007, mais pas de quoi altérer son caractère à la fois intelligent et fragile (la voix de la dame, à fleur de peau), malgré quelques touches culpabilisantes dispensables.

L'autre évidence de Totem, c'est un son nettement moins chargé et factice que celui de son prédécesseur. Les guitares blues et rock de Nicolas Fiszman rencontrent les claviers de Jean-Pierre Pilot en favorisant l'équilibre et une production aérée. "Des Rails" et plus loin "Na" l'expriment avec brio : des mid-tempos où ZAZIE fait la gamine en s'adressant aux hommes volages sur fond de riffs acérés.

La rupture très brève et déchirante de « Na », où la chanteuse seule au piano se renvoie la balle, témoigne d'une écriture impeccable. On la retrouve également sur "Ça", une ballade magnifique où le chœur des musiciens vient renforcer la sensualité du texte, caresses et frissons garantis ! Avec un caractère plus torride, la chanson "Totem" évolue dans un registre blues seyant, même si ce n'est pas la meilleure.

Bien sûr, il y a une poignée de chansons qui empêchent ce disque de figurer comme un chef-d’œuvre, à commencer par "L'ange Blessé", trop solennel. En outre, depuis Made in Love, ZAZIE a eu progressivement tendance à vouloir sonner trop moderne, au détriment des mélodies. Ici, on le remarque sur un ou deux titres, vers la fin de l'album.

Malgré ce détail, la recette fonctionne sur "Jet Lag", l'excellent "Des Rails" où la voix grésille autant que les guitares, la ballade "Flower Power" avec son ambiance folk et pop californienne... On parlait de claviers, le couple piano-nappes contribue largement à une production réussie, d'autant plus que Jean-Pierre Pilot utilise un son de Yamaha CP-70 ou 80, parmi les plus beaux qui soient.

Il n'est pas incongru de déceler dans "Vue Du Ciel" un esprit très proche de Tony BANKS et du GENESIS fin des années 70. ZAZIE seule pour "07 dec.", déclaration passionnée face aux étoiles, est toute aussi merveilleuse, n'hésitant pas à piocher quelques mots dans la langue de William Shakespeare.

Avec peu d'éléments superflus, au contraire une belle inspiration à laquelle s'ajoute un traitement adapté, Totem se distingue dans la discographie de ZAZIE et figure, aux côtés de Zen, parmi ses meilleurs. Hélas, d'un autre côté, il marque aussi la fin d'une période de grand succès pour la chanteuse.