Que vous soyez retenu chez vous par une pluie maussade, coincé dans la fumée des embouteillages ou simplement las du froid et de la grisaille, il vous reste un moyen facile et efficace pour vous transporter en des contrées plus clémentes. Mettez simplement le disque éponyme (ou le vinyle si vous êtes un puriste) des EAGLES dans votre platine et fermez les yeux. Le premier accord de guitare n'a pas encore eu le temps de s'estomper que vous voilà au volant d'une Ford, dévalant une autoroute sous un soleil éclatant avec à vos côtés une blonde pulpeuse qui à l'air d'avoir pris un peu trop de coke au petit-déjeuner. Bienvenue en Amérique.

Les EAGLES ne sont plus à présenter : l'un des plus vendeurs des années 70 et un des représentants les plus emblématiques des genres soft-rock et AOR, le groupe de Glenn Frey (qui s'est éteint en début d'année, paix à son âme) a pourtant connu des débuts très modestes. En 1971, les EAGLES ne sont alors que quatre, tous venus à Los Angeles attirés par la scène country-rock de la fin des années 60. Le bassiste Randy Meisner fut un des membres fondateurs de POCO (même s'il n'apparaît sur aucun des albums du groupe) et le guitariste Bernie Leadon fit un passage par les FLYING BURRITO BROTHERS. Ils se rencontrent, avec Glenn Frey et Don Henley, lors d'une tournée de LINDA RONSTADT où ils sont embauchés pour jouer l'accompagnement de la chanteuse. Leur premier album est enregistré en 1972, et le producteur Glyn Johns, impressionné par les harmonies vocales des quatre musiciens, les pousse sur la voie du country-rock alors qu'eux-mêmes se voyaient plutôt comme des rockeurs à la ROLLING STONES. Un choix judicieux qui s'avérera ô combien payant par la suite.

Le résultat obtenu dès ce premier disque est à l'image de sa pochette : une musique country-rock évocatrice de ciels bleus, de grands espaces et d'une vie simple et décontractée. Ce que l'on retient souvent de l'album sont ses trois singles (que l'on retrouvera sur la compilation au succès immense Eagles : Their Greatest Hits (1971 – 1975)), soit deux titres de soft-rock chantés par Glenn Frey ("Take It Easy" et "Peaceful Easy Feeling") et une ballade aux accents mystiques avec Henley au chant ("Witchy Woman", première d'une longue série axée sur le mysticisme). Si le succès de ces trois morceaux préfigure ce qui fera le triomphe du groupe, il serait dommage d'oublier le reste de l'album qui constitue un tout plus varié et équilibré que cette sélection pourrait le laisser penser.

Les quatre compères se partagent en effet le chant mais aussi les compositions, puisqu'ils signent tous au moins un titre. On peut ainsi noter la contribution de Leadon, "Earlybird", et son gimmick de banjo, ou encore "Take The Devil" de Meisner avec son refrain mémorable. Le groupe est à l'aise dans les ballades comme dans les passages plus rythmés, et si les arrangements sont loin d'être particulièrement originaux et les mélodies ne sont pas toujours très marquantes, le quatuor compense ces faiblesses grâce à ses harmonies vocales qui n'ont rien à envier aux EVERLY BROTHERS ou à AMERICA. La production un peu trop lisse et certaines ballades mielleuses ("Most of us are Sad" notamment) n'empêchent pas ce premier album d'être une fusion réussie entre country, folk et rock, et d'engendrer quelques-uns des meilleurs morceaux jamais enregistrés par les EAGLES.