Ainsi Irving Azoff avait réussi son pari.

Le triomphe que rencontra Hell Freezes Over confirma que l’intuition du manager s’était avérée juste concernant le rôle qu’avaient à jouer les EAGLES en ces années 90. La gigantesque tournée qui s’ensuivit, se prolongeant sur deux ans, fut extrêmement lucrative (le prix des billets avait été fixé autour de cent dollars) mais réveilla aussitôt les vieux démons dont le sommeil était peu profond. Car les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Tiraillé entre le plaisir de jouer avec une authentique légende vivante et une quête perpétuelle de reconnaissance malgré la belle part du pactole qui lui est réservée, le guitariste Don FELDER n’avait que modérément goûté le nouvel accord financier proposé dans le cadre de la reformation, celui-ci prévoyant que Glenn FREY et Don HENLEY touchent plus d’argent que les autres en tant que compositeurs principaux. FELDER se sentait frustré, ayant l’impression d’avoir plus fait pour les EAGLES dans les années 80, quand d’autres se préoccupaient principalement de leur carrière solo. Un argument facilement retournable néanmoins ce que FREY et HENLEY ne se priveraient pas de faire. Menacé d’être viré, FELDER accepte finalement la signature du contrat, la mort dans l’âme.

Pendant la tournée, l’ambiance redevient bien vite exécrable, blessures et animosités n’ayant aucunement cicatrisé ; y compris par la suite lors d’occasions uniques comme l’intronisation des EAGLES au Hall of Fame le 12 janvier 1998 où les anciens Bernie LEADON et Randy MEISNER furent conviés. Comme d’habitude, sur scène, le change est remarquablement donné mais en coulisses, la tension est palpable. Et lorsqu’il faut rentrer en studio pour tenter de donner un successeur à The Long Run, la concurrence entre FREY et HENLEY se manifeste à nouveau, retardant le projet de manière significative.

À la suite d’un nouvel accrochage à propos de la distribution d’un futur coffret offrant quelques morceaux inédits, le duo FREY/HENLEY décide de se séparer de FELDER en 2001, lassés des incessantes questions concernant contrats et aspect pécuniaire du guitariste. Ce dernier contre-attaque via la justice et la publication d’une autobiographie incendiaire. FELDER voulait un fonctionnement démocratique au sein des EAGLES ce qui ne se produirait jamais. Car comme le dit Azoff : dans ce groupe, celui qui écrit les chansons a le pouvoir.

Stewart SMITH est choisi pour être intégré à la guitare, le test s’avère concluant sur la tournée planétaire Farewell 1 où l’ambiance est plus détendue. Une nouvelle chanson est présentée via cette occasion à Melbourne : la ballade "No More Cloudy Days" sera intégrée à Long Road Out of Eden, septième album studio des EAGLES dont la finalisation prendra tout de même six ans.

Cette nouvelle livraison ne sera disponible uniquement via le site Internet du groupe ou la chaîne de magasins Walmart, disposant de la distribution exclusive de cet enregistrement. Une décision surprenante quand on connaît l’engagement écologique et social de HENLEY semblant bien éloigné des pratiques de l’entreprise mais résultant également de la méfiance historique du groupe vis-à-vis des maisons de disque. Le batteur défend sa position en arguant qu’il est plus à même de faire bouger les lignes de l’intérieur, FREY est plus pragmatique, indiquant un contrat très avantageux niveau royalties et en outre extrêmement porteur, les clients de Walmart, plutôt conservateurs, ayant un faible pour la country.

Double et proposant vingt titres, Long Road Out of Eden se révèle bien trop long et aurait gagné à être dégrossi, chose que les EAGLES s’imposaient toujours auparavant durant la composition de leurs disques. Le premier album est ainsi globalement moyen malgré le romantisme désuet mais charmant tissé via "Waiting in the Weeds" ainsi que la brève introduction écologiste "No More Walks in the Wood" adaptée d’un poème écrit par John Hollander et nous rappelant combien les harmonies vocales des EAGLES sont uniques. Le titre embraye ensuite sur "How Long", chanson historique écrite par J.D. SOUTHER dont le groupe californien livre enfin sa propre version studio très boogie rock.

La deuxième plaque offre un intérêt bien plus prononcé, s’ouvrant sur des notes orientales dont on croirait qu’elles se sont échappées de cette photographie où figurent à perte de vue des dunes désertiques avant de faire chanter un doux synthé. "Long Road Out of Eden" est un moment de grâce magnifique concernant un sujet pourtant grave (l’envahissement de l’Irak par les États-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001), entre progressif, country et rock sur lequel WALSH livre un solo dantesque digne du CRAZY HORSE. Autre solo d’exception bien que bref, celui de "Center of the Universe", pièce émettant une lumière étrange, un clair-obscur dans la lignée de "Business as Usual" qui nous rappelle certains climats baignant The Long Run. Enfin "Somebody" et sa ligne de basse s’avèrent totalement imparables.

Long Road Out of Eden sera un carton monumental dans les charts. Même si personne ne le formalise ainsi, il semble entendu que cela soit la dernière livraison des EAGLES. La mort de Glenn FREY en 2016 enterre quasi-définitivement la perspective d’un éventuel huitième album. La carrière studio des Californiens se clôturera ainsi sur un disque non pas parfait, mais plaisant et honnête, comblant autant le fan le plus absolu qu’il contente le mélomane curieux ou averti.