Ils m'énervent, ces types de Kraftwerk. Ils m'énervent. Comme on le sait, ils ont débuté dans le krautrock, comme beaucoup d'autres groupes allemands et ont viré à la musique électronique séquencée à partir de 1974, comme les autres. Tout en étant moins doués pour la composition, ils ont adopté une attitude très froide, insisté sur le caractère mécanique/industriel de leur démarche et ont ainsi obtenu un succès très étonnant au vu de la qualité souvent moyenne de leurs morceaux. Pour encore appuyer cela, ils ont renié leurs trois premiers albums, antérieurs à leur changement de cap. Certes, il y a encore moyen de les acheter mais ils ne sont pas très connus et ne bénéficient pas d'une place aux côté des six albums «légendaires».

Pour les deux premiers albums, fort médiocres, ce n'est pas bien grave, mais pour le troisième, intitulé Ralf und Florian, c'est assez scandaleux, car il s'agit d'une belle pierre apportée au krautrock, avec pas mal de bonnes idées assez innovantes pour 1973. Même au niveau des mélodies, ça se tient. Je dois dire que j'ai été très étonné quand je l'ai entendu pour la première fois... c'est manifestement un bon album et on n'en parle jamais alors qu'on encense son successeur, le pitoyable Autobahn. Tout de même, niveau qualité du son, Ralf und Florian est bien plus esthétique, tout en étant déjà presque entièrement électronique – ce qui, je le rappelle, est un des principaux arguments qu'invoquent les défenseurs d'Autobahn. Il est important de noter également l'usage du séquenceur, ils ont peut-être bien été les premiers pour ça, finalement, mais pas dans l'album qu'on croit.

L'ouverture de l'album, «Elektrisches Roulette», n'est malheureusement pas terrible, mais il ne faut pas s'y arrêter. Ici, on trouve encore de la batterie et des sons de cordes., dans un ensemble assez instable (enfin, rien de pire que sur la deuxième face d'Autobahn, navré d'insister). Ensuite, la superbe et trop courte «Tongebirge» joue sur les sons cristallins. La façon dont la flûte est utilisée est curieusement proche de ce que fera Tangerine Dream... un peu plus tard, et l'ambiance presque progressive fait d'autre part penser à du Vangelis. Un bon morceau pour faire un gag du genre «devinez qui a écrit ceci» à des personnes ne le connaissant pas. Ensuite, l'excellent «Kristallo» est leur premier morceau répétitif avec un rythme très régulier, il est également très peu mélodique, de nouveau un numéro assez étonnant de la part de Hutter et Schneider. Le passage rapide est tout de même un peu déplacé, il me semble. La première face se termine avec le mystérieux «Heimatklänge», Eno a dû l'entendre celui-là.

Dans la deuxième partie, on trouve tout d'abord le répétitif «Tanzmusik», sans doute le morceau qui annonce le plus les choses à venir pour le groupe. L'album se termine par un long morceau, «Ananas Symphonie», aux sonorités hawaïennes. Faut le dire, c'est un peu du remplissage, ça, mais pas désagréable, il y a une ambiance cool assez sympa, en tout cas je ne m'ennuie pas spécialement à son écoute.

En bref, nous avons bel et bien ici le premier excellent album de Kraftwerk, et le seul qui ait véritablement gagné mon respect grâce à son ouverture d'esprit. Il est assez difficile à comparer avec les grands albums que sont TEE et TMM... il est évidemment plus destiné aux amateurs de krautrock et de musique planante qu'aux fans de techno ou d'indus. Mais franchement, il mérite amplement d'être réhabilité. Contrairement à ce qu'ils ont l'air de penser, Ralf Hütter et Florian Schneider ont tout lieu d'être fier de ce qu'ils ont réalisé ici.