Fondé à l’orée des seventies par Ralf Hütter et Florian Schneider-Esleben, KRAFTWERK a traversé sa première décennie avec une facilité déconcertante marquée principalement par le succès commercial de quatre albums : Autobahn, Radio Aktivität, Trans Europa Express et The Man Machine. Décrié lors de sa sortie par certains journalistes toujours prêts à dégainer gratos, un examen de l’œuvre nous semble propice 43 ans après sa sortie.
Enregistré au Kling Klang Studio, l’antre du groupe, Computer World bénéficie d’une production soignée. L’album sera édité sous quatre versus (allemande, anglaise, japonaise et française). L’album ne reflète pas son époque, 1981 étant marqué par la sortie du Sinclair ZX81 ordinateur de 8 bits abordable et par le lancement de MTV avec un clip vidéo des BUGGLES enregistré deux ans avant, alors que le duo disparaissait curieusement aussi sec. En 81, c’est donc une déferlante de Synthé Pop, souvent commercial, qui allait déferler sur les ondes, une vague marquée par une utilisation des séquenceurs, synthétiseurs, boites à rythmes, batteries synthétiques.
Contrairement à de nombreuses productions regroupant Musique électronique, Synth Pop et New Wave, Post Punk et de Techno, KRAFTWERK se démarque ici par une volonté minimaliste dans l’usage de l’électronique. Dès le premier morceau "Computer World", on se retrouve transporté vers une vague cosmique, la mélodie parvient à instaurer deux atmosphères contrastées : d’un côté, la mélodie nous immerge dans un moment de quiétude un peu à l’image de certains titres du français Richard PINHAS ou de Steve HILLAGE, de l’autre la tension monte à l’image de certaines bandes son de John CARPENTER.
Résolument simpliste, "Pocket Calculator" s’avère aussi léger qu’hilarant avec ses bruitages genre D2 R2, calculettes Texas Instrument ou Casio.
Avec son intro robotique chantée en allemand, "Numbers" crée un moment d’inquiétude avant que les synthés répétitifs nous plongent dans une mélodie proche de celle utilisée dans Close Encounters of the Third Kind ('Rencontres du troisième type'). "Computer World …2" propose une variante synthétique du titre d’ouverture.
Si on se retrouve comme happé par un sentiment d’apaisement avec "Computer Love", "Home Computer" nous expédie dans la transe avec ses rythmes réitérés jusqu’à plus soif, finissant invariablement par devenir obsédants.
En guise de fermeture, "It’s More Fun To Compute" se révèle terriblement répétitif mais si le Moog instaure un climat propice à la crainte à l’instar de certains morceaux de Gary Numan, on peut aujourd’hui se demander si Hütter et ses compagnons avaient imaginé l’existence d’une future Intelligence Artificielle.
Si certaines sonorités paraissent parfois désuètes, Computer World a paradoxalement moins vieilli que les précédents opus. Si certains ont raillé l’album, celui-ci nous plonge par moment dans une dystopie, domaine lié à la science-fiction, renforcé par une orchestration clinique.
Ce disque de 34 minutes, annonciateur du mouvement Techno se déguste comme du petit lait.

Cette chronique provient de la version anglaise éditée par Elektra Records.